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Mediapart
Au nord du Pakistan, la fonte des glaciers menace les populations locales et le pays tout entier
#rechauffementclimatique #glaciers
Article mis en ligne le 15 novembre 2022

Dans la région de Gilgit-Baltistan, de nombreux glaciers souffrent du dérèglement climatique et perdent en masse. Les villageois alentour se retrouvent confrontés aux inondations et au manque d’eau. Mediapart a pu s’y rendre, aux côtés d’une chercheuse, pour constater les dégâts en vidéo.

(...) Ce sont des inondations qui ont trouvé peu d’écho en Occident, alors qu’elles soulèvent des enjeux majeurs au Pakistan. En sillonnant la vallée de Hunza, dans la région de Gilgit-Baltistan, au nord du pays, nous découvrons un environnement où les glaciers sont omniprésents. Les conséquences du réchauffement climatique aussi.

Aux abords de la ville d’Ali Abad, dimanche 3 octobre, les tractopelles s’échinent à ramasser les roches et la caillasse qui se sont effondrées là, au pied des montagnes, lorsque des torrents d’eau ont tout emporté sur leur passage en juin dernier. (...)

Un pont entièrement détruit, des maisons emportées par les eaux et des récoltes perdues : ce sont là les effets du dérèglement climatique, juge Alam Khan, dont le père alertait déjà, il y a des dizaines d’années, sur les mouvements du glacier de Shisper.

Des inondations liées aux mouvements des glaciers

« Depuis environ trois ans, on sent vraiment que les glaciers de la région fondent et ça nous affecte beaucoup. On ne peut rien y faire à notre niveau, c’est la nature qui réagit ainsi. Mais peut-être que si on prend des actions maintenant, qu’on travaille collectivement, ça peut s’améliorer », présume-t-il, avant d’admettre que la petite administration locale ne peut gérer seule ces enjeux.

Mediapart a pu exceptionnellement se rendre à proximité de plusieurs glaciers, dans la vallée de Hunza, qui appartient à la chaîne montagneuse de Karakoram située à la frontière de l’Inde et de la Chine, et à proximité immédiate de l’Himalaya. Il faut, pour rejoindre cette région reculée – et autonome – du Pakistan, entre 13 et 15 heures de route, lorsque celles-ci sont accessibles. (...)

Pour Ali Karamat, chercheur à l’université internationale de Karakoram (KIU Gilgit-Baltistan) et spécialiste des glaciers, le glacier de Shisper recouvre des « enjeux majeurs ». (...)

Dimanche dans l’après-midi, au pied des montagnes, nous rencontrons Aman Ullah Khan. Il est une figure incontournable de la vallée de Hunza : depuis près de 20 ans, il observe les impacts du dérèglement climatique sur les glaciers et sur le quotidien des populations avoisinantes, allant jusqu’à accompagner des chercheurs sur (ou à proximité) des glaciers pour mesurer leurs variations dans le temps.

« Mais je ne suis pas chercheur moi-même, nuance-t-il dans un sourire. J’aide surtout les communautés rurales et tout ce que je décris est le résultat de simples observations. »
Le glacier de Batura et « l’anomalie de Karakoram »

L’homme dit observer des « anomalies » sur la plupart des glaciers de la région. « Le glacier de Gulkin avait tendance à augmenter en taille jusqu’en 2015-2016. Il s’était même étendu jusqu’à la route. Mais aujourd’hui, il recule », précise celui qui a servi de guide aux spécialistes de l’Icimod (International Centre for Integrated Mountain Development ou Centre international de mise en valeur intégrée des montagnes).

Entre 2014 et 2016, les chercheurs de ce centre, actif dans la région de l’Hindou Kouch-Himalaya dont la vallée de Hunza fait partie, ont « posé des marques » dans la roche et pris régulièrement des mesures afin de suivre les variations de plusieurs glaciers dans le temps, dont celui de Gulkin.

Pour certains glaciers, comme ceux de Passu ou de Batura, les effets du réchauffement planétaire se constatent à vue d’œil. (...)

Dimanche dans l’après-midi, au pied des montagnes, nous rencontrons Aman Ullah Khan. Il est une figure incontournable de la vallée de Hunza : depuis près de 20 ans, il observe les impacts du dérèglement climatique sur les glaciers et sur le quotidien des populations avoisinantes, allant jusqu’à accompagner des chercheurs sur (ou à proximité) des glaciers pour mesurer leurs variations dans le temps.

« Mais je ne suis pas chercheur moi-même, nuance-t-il dans un sourire. J’aide surtout les communautés rurales et tout ce que je décris est le résultat de simples observations. »
Le glacier de Batura et « l’anomalie de Karakoram »

L’homme dit observer des « anomalies » sur la plupart des glaciers de la région. « Le glacier de Gulkin avait tendance à augmenter en taille jusqu’en 2015-2016. Il s’était même étendu jusqu’à la route. Mais aujourd’hui, il recule », précise celui qui a servi de guide aux spécialistes de l’Icimod (International Centre for Integrated Mountain Development ou Centre international de mise en valeur intégrée des montagnes).

Entre 2014 et 2016, les chercheurs de ce centre, actif dans la région de l’Hindou Kouch-Himalaya dont la vallée de Hunza fait partie, ont « posé des marques » dans la roche et pris régulièrement des mesures afin de suivre les variations de plusieurs glaciers dans le temps, dont celui de Gulkin.

Pour certains glaciers, comme ceux de Passu ou de Batura, les effets du réchauffement planétaire se constatent à vue d’œil. (...)

Des variations qu’il explique simplement par les différences de température selon l’altitude des différentes parties d’un glacier : sur les hauteurs, la pluie a davantage tendance à se transformer en neige, permettant de nourrir le glacier. « À l’inverse, la partie inférieure des glaciers va fondre plus rapidement. » (...)

Si le glacier de Batura n’est pas épargné par le dérèglement climatique, il est sujet à « l’anomalie de Karakoram », un phénomène surprenant sur lequel se sont penchés plusieurs chercheurs internationaux et Saulat Hussain, de l’université de Gilgit-Baltistan.

Dans un article publié dans la revue Scientific Reports, ils décrivent un glacier « mouvant », ayant à la fois perdu en masse sur la partie avant du glacier et augmenté en hauteur sur la partie arrière, compensant ainsi les effets du changement climatique. Leurs travaux concluent à une « absence de grande variation au cours des 40 dernières années » et à un glacier dont l’état est resté « quasi stable » après les années 2000.

Face à toutes ces « anomalies », les glaciers vont-ils finir par disparaître ? À cette question cruciale, régulièrement posée par les glaciologues du monde entier et encore tout récemment soulevée par l’Unesco, qui affirmait début novembre qu’un tiers des glaciers classés au patrimoine mondial disparaîtraient à l’horizon 2050 « quel que soit le scénario climatique », tous les interlocuteurs rencontrés lors de notre périple répondent par l’affirmative.

L’enjeu majeur de l’accès à l’eau

Ce qui est sûr aujourd’hui, poursuit Aman Ullah Khan, c’est que les populations vivant à proximité des glaciers de la vallée de Hunza « sont certainement en danger ». (...)

« Il fait extrêmement chaud l’été et les hivers sont plus courts. Les inondations liées aux variations des glaciers et au débordement de lacs glaciaires vont forcément s’intensifier. Et les communautés locales souffrent déjà d’un manque d’eau pour l’irrigation de leurs terres. La chaleur est aussi si intense qu’elle affecte les récoltes. » (...)

L’autre problématique, lorsqu’un glacier perd autant en masse, est celle de l’accès à l’eau pour les populations locales. En s’approchant du glacier de Passu, à 3000 mètres d’altitude et à environ 30 minutes de marche d’un petit parking situé au bout d’une route cabossée où peu de véhicules s’aventurent, la fonte des glaces est flagrante. Le glacier a « fortement reculé », constate avec amertume Zarina Baig. (...)

« On fait face à une hausse alarmante des températures en été, suivie d’épisodes de fortes pluies. C’est de pire en pire depuis environ deux ans et cela affecte les habitants comme moi. »
« Si on veut réduire la pollution et les effets du changement climatique, il faut que le monde entier s’empare de cette question. » Zahid Ahmad, habitant du village de Hussaini (...)

« C’est l’être humain qui est responsable de tout ça. Mais le Pakistan pollue très peu comparé à d’autres pays industrialisés. Si on veut réduire la pollution et les effets du changement climatique, il faut que le monde entier s’empare de cette question. On est en train de devenir les victimes d’un système que l’on a créé », déplore-t-il. (...)

Les migrations pourraient s’intensifier

Si le risque est bien présent, l’idée n’est pas, selon lui, de déplacer toutes les communautés installées à proximité des glaciers, mais plutôt d’opter, au niveau des autorités, pour une « meilleure gouvernance » et des « politiques de régulation » à l’échelle locale afin d’éviter que d’autres ne s’installent sur des zones à risque à l’avenir.

« On voit beaucoup de nouvelles constructions, comme des hôtels par exemple, qui voient le jour sur des zones inondables. Ce n’est pas normal, insiste Ali Karamat. On ne peut pas gérer le danger, mais on peut anticiper ses effets sur le terrain. »

Les communautés déjà installées ici depuis des décennies, voire des siècles, doivent quant à elles être mieux sensibilisées aux risques et renforcer leurs constructions pour anticiper les prochaines catastrophes climatiques. « On propose également une meilleure gestion de l’utilisation des terres dans ces vallées. C’est un enjeu majeur pour la gestion des désastres à venir. »

Mais face à l’accroissement du risque, Ali Karamat, qui cumule plus de 5 000 entretiens avec les habitant·es de la région, observe d’ores et déjà des déplacements internes dans la région de Gilgit-Baltistan. (...)

Le dérèglement climatique et ses conséquences, comme les inondations, le manque d’accès à l’eau potable ou l’insécurité alimentaire, pourraient ainsi contraindre les habitant·es à prendre la route de l’exil, en dehors du Pakistan ; et pourraient favoriser l’essor de conflits au niveau local comme international.

Alors que les glaciers vont continuer de souffrir et de fondre selon le chercheur, l’eau représente « un enjeu énorme » pour tout le reste du pays, qui dépend de ces sources. « Si nous perdons ces glaciers, comment pourrons-nous continuer de boire de l’eau, d’irriguer nos terres, de nourrir nos industries ? » (...)

En observant le glacier massif et noir de Batura – l’un des plus longs au monde, puisqu’il s’étend sur 57 kilomètres –, la chercheuse Zarina Baig en vient à la même conclusion que son confrère : le changement climatique menace les populations locales, mais aussi le pays tout entier.

Et à ce même endroit, en juin 2021, de nombreuses infrastructures ont déjà été détruites par les inondations provoquées par la fonte de ce glacier et le débordement d’un lac glaciaire, contraignant les habitant·es à fuir les alentours.

« Les montagnes hébergent des glaciers, des sources d’eau, dont un certain nombre de personnes dépendent. Elles sont au cœur de la survie humaine », conclut-elle.