
Je n’ai présentement le popotin sur aucune chaise. Mon suivi des actualités ressemble à une immense partie de ni oui, ni non. Quand j’écoute les infos, je suis étonnée de l’étonnement face à ce mouvement. Le plus surprenant a toujours été pour moi de constater que les gens ne se révoltaient pas et acceptaient un système profondément injuste qui jouait en leur défaveur. Pourquoi accepter les règles d’un jeu auquel on est toujours perdant ?
D’un autre côté, quand je vais lire les publications sur les pages Facebook des « gilets jaunes », je suis écœurée par le nombre de propos sexistes, racistes, antisémites, homophobes –grosso modo, Emmanuel Macron serait un homosexuel à la solde des banquiers juifs et arabes, avec une épouse qui serait évidemment une catin. Je suis atterrée par le nombre d’intox complotistes qui circulent et me font m’interroger sur la pertinence d’un système démocratique dans ce contexte.
Insurrection et répression
Je suis sincèrement convaincue que ce système économique et politique est moisi, mais le genre de société à laquelle j’aspire ne pourra pas être mise en place par des mecs avec des barres de fer.
Et en même temps, je trouve un peu paradoxales ces condamnations unanimes de la violence. Je ne dis pas qu’il ne faut pas condamner la violence, mais enfin, ayez un minimum de cohérence. On nous serine, comme fondement du roman national, la Révolution française ; on se glorifie des insurrections populaires ; dans les livres scolaires, on a des gravures représentant des têtes coupées que l’on promène gaiement au bout d’une fourche ; on nous fait apprendre « La Marseillaise »... Bref, on nous élève dans l’idée que la France, c’est du sang et des barricades face aux injustices, et ensuite, on nous dit qu’aucune injustice présente ne justifierait de recours à la violence –et en même temps que le recours à la violence de la police contre des lycéennes et des lycéens serait normal. C’est le monde à l’envers.
On ne peut pas dire que 1789, c’était merveilleux et casser la mâchoire d’un jeune à coup de flashball parce qu’il aurait incendié une poubelle. Même au nom de l’État de droit, selon la formule consacrée. Vous pouvez demander à n’importe quel éducateur ou éducatrice, on n’obtient jamais l’ordre par les coups, les menaces ou l’humiliation. Ce que l’on voit dans la vidéo des jeunes à Mantes-la-Jolie ne se discute pas sous l’angle de ce qu’ils ont fait. Ils peuvent être interpellés et jugés, mais dans cette séquence, les policiers cherchent à obtenir leur soumission par l’humiliation –et c’est le meilleur moyen d’obtenir l’effet inverse. Je souscris à cette pétition en tant qu’ancienne lycéenne ayant participé à des manifs et des blocages mais n’a jamais subi une telle répression. (...)
Victor Hugo, qui a assisté à plusieurs émeutes –et au XIXe siècle, on ne se contentait pas de brûler des abribus–, distinguait émeute et insurrection, mais expliquait que l’insurrection elle-même commençait toujours par une émeute. (...)
« L’émeute est une sorte de trombe de l’atmosphère sociale qui se forme brusquement dans de certaines conditions de température, et qui, dans son tournoiement, monte, court, tonne, arrache, rase, écrase, démolit, déracine, entraînant avec elle les grandes natures et les chétives, l’homme fort et l’esprit faible, le tronc d’arbre et le brin de paille. » (...)
Victor Hugo se moque ensuite de la bourgeoisie, qui se plaint déjà à l’époque du coût des émeutes (...)
Dans la suite de son texte, où il défend les insurgés –RIP Gavroche–, Victor Hugo met toutefois en garde. Le peuple n’a pas toujours raison, il peut suivre une mauvaise voie/voix. (...)
« Le branle des passions et des ignorances est autre que la secousse du progrès. Levez-vous, soit, mais pour grandir. Montrez-moi de quel côté vous allez. Il n’y a d’insurrection qu’en avant. Toute autre levée est mauvaise. » (...)
quand tout cela sera retombé sans être apaisé, quand on aura eu une formidable occasion de changer notre modèle et que l’on sera passés à côté, quand la société que j’aimerais voir n’aura pas encore été ébauchée, j’ai bien peur que ce soit celle qui m’effraie le plus qui advienne.
Et devant les images de lycéennes et de lycéens le visage en sang, je me demande si elle n’est pas déjà là.