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« Aujourd’hui, en France, un contrôle généralisé de la population est possible »
Article mis en ligne le 17 décembre 2015

Le Conseil constitutionnel se penche aujourd’hui sur les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence. Joël Domenjoud, fait partie des 26 militants écologistes qui ont subi cette mesure. Il explique ce que lui inspire le virage sécuritaire du gouvernement et ce que cela implique pour les mouvements contestataires.

Joël Domenjoud – Le jeudi 26 novembre, des amis m’appellent pour me dire qu’il y a une perquisition chez eux, à Ivry, qui semblait liée à la COP 21. Je me suis dit qu’il valait mieux que je sorte de chez moi. J’ai alors vu que j’étais suivi. S’ils voulaient m’interpeller, mieux valait que je sois dans un lieu public. Je me suis posé dans un café et j’ai passé des coups de téléphone. J’ai appris l’assignation d’une autre personne, donc j’ai compris ce qu’il se passait. J’ai été appelé par ma voisine, qui m’a dit que l’immeuble était plein de policiers, puis, j’ai reçu ce coup de fil : « Venez immédiatement au commissariat, on a un papier à vous remettre. » Je me suis donc présenté pour retirer mon assignation.

Quels étaient les motifs ?
Le motif était mon implication dans l’organisation d’événements autour de la COP 21. La possibilité que les manifestations et l’organisation d’actions dans le cadre de la COP 21 aboutissent à des troubles à l’ordre public.

Te voila l’un des 26 militants dits écologistes assignés...
Oui, 26. Moi, je me suis présenté comme écologiste parce qu’on essayait à tout prix de me définir, alors j’ai préféré le faire moi-même. Je me suis défini par rapport à ce qu’on me reprochait dans la fiche de renseignement, par exemple mon implication à Bure, et je ne m’en suis pas caché. En l’occurrence, je suis un militant écologiste, mais qui lutte aussi sur le terrain social. (...)

Ça fait plusieurs années qu’on constate une criminalisation des militants, c’est la continuité de la logique, avec une cran bien supérieur. On est dans la prédictibilité de ce que les gens pourraient faire, alors qu’avant, c’était plus une amplification de ce qu’ils avaient fait. C’est beaucoup plus dangereux encore. (...) on peut facilement se retrouver privé de liberté, à partir d’une fantasmagorie construite autour d’un profil d’appartenance à une mouvance. (...)

le message est : « Attention, on va coincer des personnes, mais toutes celles qui sont autour d’elles peuvent subir la même chose. » Ça fait que les gens dans l’entourage peuvent être tentés de rétrograder leur niveau d’engagement, renoncer à un certain nombre de choses, être impressionnés par le contexte et, pour finir, s’autocensurer. De ce point de vue, c’est plus une attaque psychologique qu’une réelle mesure coercitive. (...) Il y a pas mal de militants fichés "S", et la fiche S n’est pas fondée sur des actes commis mais sur les engagements des personnes. Ça peut aussi bien concerner des personnels d’ONG, des syndicalistes…. (...)

ma prochaine bataille, c’est la possibilité de demander des indemnités pour ce que ça m’a coûté, et aller à la Cour européenne des droits de l’homme, ce que je trouve intéressant car il y aura un jugement rendu depuis l’extérieur de la France. La famille française des énarques qui ont partagé les bancs des mêmes écoles, qui vont diner au Siècle, qui trouvent que la franc-maçonnerie fait un bon réseau social, cette famille est monde à part, qui se protège et ne va pas se sanctionner, car toute l’institution républicaine est en jeu. Par contre, si le jugement vient de l’extérieur de cette grande famille, il y a une chance qu’il puisse être indépendant. (...)

Le contexte plus dur implique qu’il faut mutuellement se protéger, avoir des bases sociales plus fortes, prendre le temps de vivre dans nos quartiers, éviter les isolements. Tous ces liens sociaux dans et au-delà des cercles militants, il faut les travailler, les entretenir. C’est peut-être ça qui me semble le plus important aujourd’hui. Pour que, quand la police vient te chercher, tout ton quartier réagisse, se sente touché. Car le manque de lien et l’isolement renforce énormément le contrôle social. (...)