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Autochtones, mais irréguliers
Article mis en ligne le 22 novembre 2014
dernière modification le 18 novembre 2014

En Guyane, où les manies de la bureaucratie coloniale ont toujours cours, tout est fait pour que les indigènes ne se sentent pas chez eux. La politique du chiffre en matière d’expulsions a encore de beaux jours devant elle. La dignité et la malice des autochtones aussi.

Depuis 2007, deux barrages routiers permanents aux extrémités du département permettent à la gendarmerie de contrôler tous les allers-retours sur les deux routes nationales qui longent la côte [1]. « J’ai l’habitude de tout ce cirque. Je connais quelqu’un qui s’est déjà fait expulser trois fois la même semaine. Leur soi-disant contrôle des frontières, c’est une blague. On est expulsé au Surinam, et en dix minutes de pirogue sur le Maroni on est de retour en France [2]. Le contrôle fixe sert juste à écarter du littoral les populations du fleuve. Si on veut vraiment éviter le barrage, on passe 500 mètres plus loin, dans la forêt. » Les agents de la PAF de Saint-Laurent-du-Maroni confirment officieusement l’inutilité de leur tâche  : « Sous Sarko, on nous obligeait à douze reconduites par jour, Valls nous en exige huit par jour, ça reste la politique du chiffre, sans aucune autre logique  ! »

Ces contrôles de gendarmerie aux barrages sont illégaux. Ils sont renouvelés tous les six mois par des arrêtés préfectoraux, explique le communiqué des associations [3] qui ont décidé de porter l’affaire devant la justice.

« Ces postes fixes, systématisant les contrôles d’identité, impactent directement les droits des étrangers en situation administrative précaire et des peuples autochtones dépourvus de preuves de leur identité et/ou de leur nationalité française en entravant leur accès à la préfecture, à certains tribunaux, à des formations professionnelles ou universitaires et à plusieurs services ­hospitaliers et consultations spécialisées », indiquent-elles. Les professionnels de santé de l’Ouest guyanais constatent notamment, pour ces seuls patients, « des retards au diagnostic, des retards voire une absence de prise en charge, des urgences mal traitées ou de manière inadéquate, des ruptures dans la continuité des soins. Les procédures complexes requises, même pour raisons médicales, pour franchir le barrage d’Iracoubo, retardent en effet les examens complémentaires ou dissuadent de les demander ».

De nombreux habitants du Maroni vivent entre les deux rives. Ils sillonnent le fleuve entre leur foyer, l’école ou le commerce, répartis de manière disparate selon les différents endroits du fleuve entre le Surinam et la Guyane, sans se poser la question de leur légitimité à vivre dans deux pays différents. Ici, c’est chez eux. Ils étaient là les premiers, comme l’a rappelé un épisode, présent dans toutes les mémoires, au sujet d’un chef de village amérindien « surinamais » de Galibi, qui s’était fait arrêter sur le marché de Saint-Laurent avant d’être reconduit de l’autre côté du fleuve. Les notions d’États ou de frontières imposées par les derniers arrivés n’ont aucun sens pour eux. Ils sont Alukus, Ndjukas, Kali’nas ou Wayanas. Ils n’ont pas besoin de papiers pour savoir qui ils sont, ni de policiers pour leur dire où leur pirogue peut aller.

Pour les Amérindiens, depuis une dizaine d’années, la situation devient intenable. Certains se voient octroyer des titres de séjour d’un an. Leur statut de peuple autochtone n’étant pas reconnu par la France, ils cherchent au moins à être en règle pour se déplacer où bon leur semble. L’exemple de cet autre chef coutumier d’un village indien proche de Saint-Laurent-du-Maroni, qui a servi dans l’armée française et a pris conscience en Afghanistan de la place de relégation dans laquelle il se trouve, laisse présager des possibles changements. « J’ai saigné pour la France, je saignerai pour mon peuple », déclare-t-il impassible. (...)