
Dans Vers l’automatisation de la société ? (1963), Pierre Naville indiquait que la productivité s’élevait prodigieusement avec l’automation selon un coefficient multiplicateur moyen de 12 à 20 avec des pointes à 50, 80 ou même 100 dans des ateliers spécifiques. Il dégageait ainsi des perspectives plus larges que la nécessaire réduction du temps de travail à 35 heures. Le rapport au temps de travail changeait : « De nouveaux horaires de travail s’échelonnent par roulement, se logent à des moments variables de la journée et de la semaine. »
Avec l’automation et la réduction massive du temps de travail, devenaient possibles le développement de « formes nouvelles » de la « vie en société », de « relations entre sexes » : « Les individus doivent devenir les véritables souverains du système de fabrication. » L’occasion d’une véritable avancée d’une exigence d’autogestion généralisée n’a pas été saisie, malgré Mai 68… Cet entretien, réalisé par Jean-Marie Vincent1 en 1977, est le jalon d’une réflexion alternative qui implique un objectif, refusé par le programme commun de la gauche : « Il faudrait arriver à une situation où les hommes, qui ont la tâche de produire la subsistance à la société, pourront effectuer de façon quasi expérimentale cette production dans un laps de temps de travail assez limité, pour chaque individu. Il faudrait, en outre, que les conditions techniques de travail ne soient pas soumises à des exigences de rendement, de profit, etc. ».
Qu’en est-il de l’automation aujourd’hui ? n’a-t-elle pas déçu beaucoup d’espoirs mis en elle au début des années 1960 ? (...)
On ne doit pas se représenter le développement de l’automation comme un développement linéaire. Il est au contraire très inégal dans l’espace et dans le temps, comme l’accumulation du capital elle-même.
Mais cela n’est qu’un aspect général des problèmes posés par l’automation. Au niveau de la production et de la technologie apparaît aussi toute une série de contraintes et contradictions que l’on perçoit maintenant beaucoup mieux. (...)
Dans l’état actuel de nos connaissances, il ne peut y avoir d’automatisation absolue. On se heurte un peu partout a un seuil optimum des techniques de l’automatisation qui renvoie dans le domaine de l’utopie l’image d’une production qui fonctionnerait par simple pression de boutons. La technique n’est pas maîtrise complète des processus naturels ni des processus dérivés créés par le milieu technologique et industriel. (...)
Il faut en outre tenir compte du fait que des collisions graves peuvent se produire au niveau de l’organisation du travail entre les systèmes technologiques mis en œuvre et les réactions des travailleurs, entre les rythmes machiniques et les rythmes humains dont la plasticité et la malléabilité sont beaucoup moins grandes qu’on ne veut bien le dire au vu de certaines performances exceptionnelles. La technologie progresse essentiellement en fonction des impératifs de l’extraction de la plus-value, ce qui veut dire que d’une certaine façon, elle fait violence aux hommes auxquels elle s’impose et qu’elle est développée pour tirer le maximum des collectifs de travail comme des travailleurs pris individuellement (en les laissant dans un situation d’impuissance). En d’autres termes, le développement de la technologie n’a pas pour but de renforcer le contrôle des travailleurs sur la production, mais celui du capital. (...)
Comme le dit Marx dans Le Capital, il y a un emploi capitaliste des machines qui oblige à se poser la question d’un autre mode de production et d’utilisation de la technologie. (...)
ce n’est pas avec les idéologies de la création spontanée qu’on pourra affronter les problèmes les plus brûlants du mouvement ouvrier, pas plus que lorsqu’on développait le même genre d’idées sous l’expression de joie au travail, etc. Il faut s’attaquer à des objectifs concrets de façon ordonnée. Le premier, je le répète, c’est la réduction du temps de travail salarié, ramené à 30 heures hebdomadaires. C’est à partir de là que peuvent se greffer de nouvelles formes de travail et de modalités de vie hors travail, et de nouveaux rapports entre la consommation par salaire et par services gratuits.