Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« Avec les gilets jaunes, nous sommes sorties de notre impuissance » : des femmes racontent leur année de révolte
Article mis en ligne le 23 novembre 2019
dernière modification le 22 novembre 2019

Comment sort-on d’un an d’engagement dans le mouvement des gilets jaunes ? Transformées et pleine d’énergie, répondent des femmes engagées au sein de la « Maison du peuple » de Saint Nazaire. Reportage

Avec les gilets jaunes, Céline a réalisé qu’elle n’était pas toute seule à être en colère. Elle s’est aperçue « que cette organisation des dominants pour se protéger valait dans tous les domaines : économique, social, politique. Ce sont eux qui écrivent les règles du jeu. Du coup, pour eux, c’est facile ! » « C’est vrai, acquiesce Kty. Nous, si on est en colère, c’est parce qu’on fait partie des gueux ! Si on était du côté des prédateurs, évidemment, tout cela ne nous dérangerait pas. » (...)

« C’est ça qui nous a fait descendre dans la rue le 17 novembre 2018, intervient Stéphanie. Cette impression de galère quotidienne, sans fin. » Kty, qui craignait de voir des troupes FN en rangs trop serrés, a été « scotchée » de voir tant de monde. « Il y avait des gens du FN, certes. Mais il y avait surtout tous les autres. C’était tellement vivant, tellement fraternel. Les gens se souriaient, se parlaient, certains s’engueulaient…. »

« Nous sommes sortis en famille, avec nos deux filles, se rappelle Stéphanie. Enfant, elle n’avait qu’un vague souvenir de manifestation, aux côtés de sa mère. Tout le monde avait un gilet jaune, même la poupée. C’était un moment magique. Tout le monde se parlait, sans jugements, sans a priori. »
La maison du peuple, un ciment pour les révolté.es (...)

Venue simplement pour « faire sa curieuse », Kty a finalement embrayé sur les occupations 24h/24 des ronds-points, le blocage du port de Saint-Nazaire et celui de la raffinerie de Donges. (...)

Et puis, via les réseaux sociaux, elle entreprend avec d’autres révoltées de récolter les doléances des gilets jaunes de toute la France en vue de l’« assemblée des assemblées », qui a lieu fin janvier 2019 à Commercy dans la Meuse (...)

Dans l’ancien bâtiment administratif, inoccupé depuis des années, se mettent en place des ateliers, des repas collectifs et des assemblées générales quasi-quotidiennes (Voir notre reportage : « Ce qui se passe ici, cette entraide, je n’avais jamais vu ça » (...)

« Les travailleurs précaires, les intérimaires… tous ces gens que les syndicats ne peuvent pas toucher. Ils ont trouvé ici de véritables appuis pour apprendre et défendre leurs droits. » (...)

« Avant, j’étais tout le temps fatiguée. Désormais je me sens en pleine forme ! »

La découverte d’alter ego révoltées a été, pour toutes, une découverte réjouissante et pleine d’énergie. (...)

« Ici, à Saint-Nazaire, on est des grandes gueules, avance Kty. Mais on se fait quand même couper la parole pendant les AG. Il faut s’imposer, c’est clair. » Un peu partout en France, des groupes non-mixtes ont été initiés par des femmes pour prendre confiance et apprendre à s’imposer. Ces « amajaunes », comme elles se sont baptisées, se retrouvent de temps à autre. Dans le nouveau bâtiment que les gilets jaunes squattent au centre de Saint-Nazaire, elles ont prévu d’avoir une pièce rien que pour elles.
Apprentissage de la parole publique (...)

Quand la maison du peuple a été évacuée, Céline, Kty, Monique et Stéphanie se sont senties orphelines. Mais pas découragées pour autant.
« Je ne voterai plus pour le FN »

Avec d’autres gilets jaunes, Stéphanie a monté les « Sourie ion anti gaspi ». Un collectif qui fait les fins de marchés, transforme parfois une partie des invendus, et redistribue ensuite à ceux et celles qui en ont besoin. Des personnes qui dormaient dans leur voiture ont trouvé un toit, d’autres habituées à vivre dehors sont régulièrement invitées à dîner. « J’ai ramené la maison du peuple sur le marché », sourit Stéphanie. Pour elles, plus rien ne sera jamais comme avant.

Leur vision s’est élargie. « Je vois maintenant que ce qui m’arrive est relié au reste du monde, décrit Stéphanie. Je ne regarde plus la télé, je regarde d’un autre œil les personnes qui occupent des logements vides. Avant, je me disais, franchement, squatter c’est abusé ! » Céline a décidé quelques mois après la rentrée de quitter son boulot d’enseignante. (...)

« Si je me barre de l’Éducation nationale, c’est en partie à cause de ce que je vis depuis un an au sein des gilets jaunes. Avant, je n’avais jamais eu la possibilité de mettre en forme ma révolte. À chaque fois que je me sentais en colère, on me disait que je n’étais pas normale. En se regroupant, on a senti notre force. On a vu qu’on était capables de faire plein de choses. Personnellement, je ne me sens plus de travailler au sein d’un système éducatif qui s’intéresse si peu aux enfants qui ont des difficultés. Pire, qui les enfonce. »

De son côté, Stéphanie assure qu’elle ne votera plus pour le FN, devenu RN. « J’ai voté deux fois pour Marine Le Pen. Une fois face à Hollande. L’autre face à Macron. Je voulais que les gens gueulent, sortent de leur torpeur. Mais c’est fini. J’ai beaucoup appris en deux ans. J’ai compris que le FN divise. J’ai surtout compris qu’il est impossible qu’une seule personne représente tout le monde. Impossible. » Elle constate aussi qu’elle n’est plus la même mère, avec le sentiment que ses filles ont grandi, elles aussi, au fil des mois de révolte.
« Le 5 décembre, c’est important que beaucoup de monde se mobilise »