
Des heures de direct et de glose à la gloire de la monarchie britannique. Depuis le décès d’Élisabeth II, BFMTV, jour après jour et “minute après minute”, m’a fait vivre “l’histoire en train de s’écrire” – et le journalisme en train de sombrer dans le néant réactionnaire.
« Il faut imaginer l’émotion mondiale, ordonne Bruce Toussaint sur BFMTV. Les chefs d’États internationaux, tout le monde réagit. » Même les chefs d’État nationaux. C’est vendredi, lendemain du décès d’Élisabeth II. Un envoyé spécial : « Sur les rives de la Tamise, je peux vous dire que l’émotion est très forte même si les Britanniques ne le montrent pas forcément. » Le fameux flegme britannique. « Certaines activités culturelles ou sportives ont dû être annulées, c’est le cas de Steve qui devait aller à un tournoi de cricket. » So british. L’intéressé confie « une grande tristesse ». « Voilà, beaucoup d’émotion mais toujours très contenue, à la britannique. » Ah oui, le flegme. (...)
« David, ancien militaire qui fait partie de ces rares personnes qui ont rencontré la reine ». Comme les dizaines d’autres que nous allons interroger à longueur de journée. « Quel souvenir avez-vous de cette rencontre ? — Elle était charmante. — Vous me disiez : “Elle était charmante.” — Oui elle était fabuleusement charmante. » Ça, c’est de l’info vérifiée.
« À Balmoral, on guette la sortie du roi Charles qui devrait regagner Londres. » Une envoyée spéciale : « Ce qui choque, c’est le silence qui règne ici. » Pas comme sur BFMTV. Bruce Toussaint prévient : « Nous sommes à l’aéroport d’Aberdeen. » Où il ne se passe rien. Mais soudain « vous voyez cette image, il s’agit du roi Charles qui quitte Balmoral ». Je vois l’image mais pas le roi, seulement Camilla. « Ce qui est étonnant, s’émeut Patrick Sauce, c’est que la reine consort est à l’avant de la voiture. » À la place du mort. Pourvu qu’elle n’emprunte pas le tunnel de l’Alma. « Pour éviter tout sexisme dans la futilité, on va se mettre à commenter les cravates et les pochettes du roi Charles III, fini les chapeaux. » Cravates ou chapeaux, peu importe tant que règne la futilité. (...)
Sur CNews (...) Jean-Marc Morandini sollicite Éric Revel, chroniqueur politique. « Une partie de la grande stabilité du Royaume-Uni tient à la monarchie. Élisabeth II incarnait la nation et non pas la politique. La République française, avec un chef de l’État, ça incarne la politique et de moins en moins la nation. » Résultat, c’est la chienlit. « C’est fondamental, approuve une experte. On doit nous aussi penser à l’union de la nation. — Mais autour de qui ? !, s’alarme Morandini. L’union en France, on peut la faire autour de qui ? On peut pas la faire autour du président. » Il nous faut une monarchie. (...)
Sur LCI, Élisabeth Martichoux interroge Marc Roche, ancien correspondant du Monde à Londres. (...) Je me suis retrouvé devant la reine et elle m’a parlé sans savoir que j’étais journaliste. — Elle avait oublié ? — Vous savez, elle rencontrait tellement de gens ! » Tous ceux qui se confient en exclusivité sur toutes les chaînes. « Qu’est-ce qu’elle vous a dit ? — Elle m’a parlé de la météo, il pleuvait. Je dis : “Oui mais c’est l’Angleterre, il pleut toujours en Angleterre.” Elle me dit : “Vous trouvez ?” » Élisabeth Martichoux est conquise : « Ça, c’est très, très anglais. Vous dites une banalité absolue mais je ne relève pas et je suis très courtoise. Elle était très, très forte. » (...)
Charles est proclamé roi, « c’est la vie de ces personnes qui bascule en direct devant nous. — On est en train de vivre l’histoire en train de s’écrire ». L’histoire de BFMTV. Un expert remarque : « Les Écossais, c’est les Corses du royaume. » Avec du whisky à la place de la coppa. « Priorité au direct ! On suit ce qui se passe pour vous raconter minute par minute les événements. Ce véhicule transporte le roi. Il arrive à Buckingham. » Une envoyée spéciale est sollicitée : « Vous avez vécu l’arrivée de Charles III. — Oui, on est dans une foule compacte, on ne voit pas grand-chose. » Mais c’est historique. « Nous l’avons appris il y a quelques instants, les abeilles royales ont été mises au courant de façon très officielle du changement de souverain. — Oui, c’est une tradition ancienne qui doit être respectée sinon les abeilles ne donnent plus de miel. » Elles donnent du porridge.
Dimanche, « c’est un moment très fort ce matin, peut-être le plus fort que nous avons vécu ». On est en train de vivre l’histoire en train de se faire avec un grand H et un corbillard dans la campagne écossaise. « Elle est extrêmement forte, cette image, parce qu’on a le dernier voyage d’Élisabeth II. » Une ancienne ambassadrice précise : « C’était une reine qui aimait la campagne, les chevaux, les chiens. — Il y a dans le Sunday Times l’arbre généalogique des corgis de la reine. — Oui, sur huit générations. » Et l’arbre généalogique des abeilles, alors ? « Elle a eu son premier en 1944. C’était des personnes importantes pour elle. » Les chiens sont des gens comme les autres. (...)
« Le corbillard est d’une marque britannique, c’est Jaguar. Derrière, il y a des Range Rover. L’industrie automobile britannique est mise à l’honneur. » Même si Jaguar et Land Rover appartiennent à l’Indien Tata Motors. Le convoi s’engage sur l’autoroute. « Elle est folle, cette image. Le cercueil est bien éclairé. » Je vais baisser la luminosité de ma télé.
Patrick Sauce évoque les préparatifs des funérailles interplanétaires. « J’ai compté trois cents toilettes provisoires le long du Mail. » Qui a dit que BFMTV ne faisait pas d’investigation ? « Y aura deux mille chefs d’État étrangers. » Deux mille ? ! Sans doute des États ont-ils été spécialement créés pour honorer la reine – et occuper BFMTV.