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Orient XXI
Barrage Renaissance sur le Nil. À pas prudents, la Russie s’engage dans un dossier explosif
Article mis en ligne le 16 septembre 2021
dernière modification le 15 septembre 2021

La position russe lors de la session du Conseil de sécurité de l’ONU du 8 juillet 2021 sur la crise du barrage Renaissance a soulevé de nombreuses interrogations, Moscou semblant pencher du côté d’Addis-Abeba, contre Le Caire et Khartoum. En réalité, il s’avère que le Kremlin tente de trouver une forme d’équilibre entre les acteurs de la crise pour défendre ses intérêts sur le continent africain.

Le sommet russo-africain de Sotchi en octobre 2019 a témoigné de l’importance que Moscou accordait au renforcement de sa coopération avec des pays africains influents, et à la recherche de points d’ancrage sur le continent. Ce regain d’intérêt faisait suite à des années pendant lesquelles la Russie s’était éloignée de ces pays. Excepté son soutien public aux « événements du 30 juin 2013 » en Égypte, qui ont abouti au renversement du président Mohamed Morsi issu des Frères musulmans, et ouvert la voie à l’ascension d’Abdel Fattah Al-Sissi. Ce dernier avait été reçu par Vladimir Poutine au ministère de la défense alors qu’il était encore en uniforme militaire, et le président russe n’avait pas caché son soutien à sa candidature à la présidence, en violation même des lois égyptiennes qui ne permettent aux militaires de se présenter aux élections qu’après avoir démissionné de leur poste.

Après l’accession de Sissi à la présidence, Poutine s’est rendu au Caire à deux reprises, à un moment où son pays se hissait en tête de la liste des pays exportateurs d’armes vers l’Égypte, concurrençant l’allié américain du Caire, notamment avec la vente de chasseurs russes Sukhoi-35. Cependant, cette amélioration des relations a rapidement souffert des suites de l’explosion de l’avion civil russe au-dessus du Sinaï, le 31 octobre 2015 (les charters directs entre les deux pays ont été suspendus durant plusieurs années), et du conflit d’intérêts sur plusieurs dossiers, dont la Syrie et la Libye. Ce qui a provoqué une relative tension entre les deux parties, et un retard dans les discussions sur un partenariat stratégique pour lequel des réunions intensives avaient déjà eu lieu.

Quant au Soudan, un accord important — parmi des dizaines d’autres — avait été signé lors de la visite du président déchu Omar Al-Bachir à Moscou en 2017, pour établir une base navale russe dans la ville stratégique de Port-Soudan, sur la mer Rouge. Mais le projet a été entravé après le renversement d’Al-Bachir et la mise en place d’une autorité de transition qui s’est rapprochée des États-Unis et de l’Union européenne (UE) et qui a annoncé l’arrêt du projet. La ministre soudanaise des affaires étrangères, Maryam Al-Sadiq Al-Mahdi a déclaré, lors d’une visite à Moscou en juillet 2021, qu’il s’agissait seulement d’engager un processus de révision de l’accord, pas de l’annuler. La Russie espère profiter de la position stratégique du Soudan sur la mer Rouge pour y installer sa plus grande base navale à l’étranger, qui permettrait d’accueillir des sous-marins nucléaires et de fournir un soutien à la flotte russe et aux pays alliés dans la région.

Cet effort en Afrique traduit l’évolution de la politique étrangère de la Russie, décidée par Poutine en 2015, et qui mettait l’accent sur l’élargissement des relations avec le continent dans divers domaines, la signature d’accords militaires et la contribution au règlement des conflits et des crises régionales. L’un des modèles de cette stratégie est l’offre de médiation russe dans la crise du barrage de la Renaissance, quand l’Égypte préfèrerait une médiation américaine.

Parti pris pour l’Éthiopie (...)

Le Caire (a évoqué) l’arrêt de la coopération avec la Russie, même en ce qui concerne la construction par la Russie du réacteur nucléaire d’El-Dabaa, d’un coût de plus de 25 milliards de dollars (21 milliards d’euros).

Les Russes sont convaincus que l’Égypte et le Soudan seraient perdants s’ils intervenaient contre l’Éthiopie, car Addis-Abeba refuserait à l’avenir tout engagement concernant le partage des eaux du Nil, et les pays africains s’opposeraient à toute entreprise militaire contre l’Éthiopie. Ce faisant, Le Caire et Khartoum ne compromettraient pas leurs relations seulement avec Addis-Abeba, mais aussi avec un grand nombre de pays africains.

Cette conviction fait partie des raisons pour lesquelles la Russie cherche à obtenir des concessions de la part de toutes les parties à travers une politique des petits pas, en leur proposant une médiation. (...)

L’accord de Moscou sur la reprise des vols charters vers l’Égypte après une interruption de six ans, intervenu quelques heures seulement avant le début de la session du Conseil de sécurité, est un exemple de ces « manœuvres » que Moscou a intensifiées envers les trois pays au cours des dernières semaines.

La Russie a exprimé sa volonté d’organiser un nouveau cycle de dialogue stratégique réunissant les ministres des affaires étrangères et de la défense des deux pays (...)

Entre l’Égypte et le Soudan

La Russie cherche à profiter de ses relations avec les acteurs de la crise, et de la divergence de vues entre elles et Washington sur certains dossiers. C’est surtout vrai avec l’Éthiopie, alors que Le Caire, au cours des trois dernières années, n’a pas montré l’inclinaison que Moscou espérait de sa part, Sissi tentant de mettre en œuvre une politique de non-alignement dans les relations internationales. (...)

Ainsi la Russie cherche-t-elle à créer une sorte d’équilibre entre les souhaits des trois pays, qui nécessite des concessions de tous. Dès lors, la réticence de Moscou à manifester publiquement son soutien à l’une ou l’autre des parties à la crise est compréhensible. Même si la Russie n’est pas un partenaire direct dans les cycles de négociations qui devraient être lancés dans les semaines à venir, elle sera une actrice influente lorsque le problème reviendra devant le Conseil de sécurité au printemps 2022, en cas d’échec des négociations en cours. Le Caire et Khartoum chercheront à se concilier Moscou pour l’empêcher d’utiliser son droit de veto, tandis qu’Addis-Abeba poursuivra sa politique d’approfondissement des relations avec la Russie, dans l’espoir d’obtenir ce même veto.