Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Bataille pour l’eau entre agriculteurs « irrigants » et défenseurs du Marais poitevin
Article mis en ligne le 21 décembre 2017

Leurs promoteurs les appellent des « bassines ». Les opposants, des « cratères ». Le langage technique, lui, ne se mouille pas en employant la périphrase « réserves de substitution ». Concrètement : prenez un champ de plusieurs hectares, creusez de quelques mètres à l’intérieur, érigez une digue sur la périphérie, posez une bâche sur la surface obtenue, et amenez-y finalement de grandes quantités d’eau. Voilà votre « bassine ».

La Coopérative de l’eau des Deux-Sèvres, qui regroupe 226 agriculteurs du bassin de la Sèvre niortaise et du Marais poitevin (à cheval sur les Deux-Sèvres, la Charente-Maritime et la Vienne), projette de construire dix-neuf retenues de ce type. Hautes de neuf à quatorze mètres, s’étalant sur quatre à dix-huit hectares chacune (plus de deux cents au total), elles leur permettraient de stocker pas moins de 8,6 millions de m³ d’eau, prélevés durant l‘hiver dans les nappes souterraines et quelques rivières. Par comparaison, le barrage de Sivens (qui consistait également à stocker de l’eau, mais dans une réserve directement située sur un cours d’eau) ne devait contenir que 1,5 million de m³, sur 48 hectares.

Comme à Sivens, il s’agit pour les porteurs du projet (soutenus par la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, et conseillés par la Compagnie d’aménagement des Coteaux de Gascogne) de s’assurer d’avoir de l’eau disponible pour irriguer leurs grandes cultures en été — du maïs, pour 81 % des terres irriguées. Car la ressource se fait rare. (...)

La raréfaction de l’eau dans les rivières et les nappes a entraîné des restrictions (...)

sécurité de l’eau égale sécurité des revenus.

Pas de quoi convaincre les opposants, qui dénoncent un projet socialement injuste. Les bassines doivent coûter 40 millions d’euros, dont 70 % seraient apportés par l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, et un autre pourcentage par la région Nouvelle-Aquitaine. Le tout pour 226 exploitations, soit 11 % des entreprises agricoles du secteur.

« C’est avec notre argent de contribuables que les bassines seraient payées. Nous voulons que le financement public soutienne tous les agriculteurs », affirme Patrick, membre du collectif des opposants. Le financement public des retenues avait fait l’objet d’un moratoire en 2012 (lorsque Delphine Batho, justement, était ministre d’Écologie), levé sous certaines conditions par Ségolène Royal. (...)

D’autant que les nouvelles cultures annoncées sont porteuses de nouveaux risques. « Elles nécessitent encore plus de pesticides et d’intrants que le maïs ! » explique François-Marie Pellerin, ancien géologue chez Elf, reconverti en défenseur du Marais. Associations de protection de l’environnement (affiliées à France nature environnement) et du Marais, Confédération paysanne, élus, pêcheurs, citoyens se sont regroupés dans un collectif, Bassines non merci, pour tenter de bloquer le projet.

« En hiver, le marais a besoin de crues pour se reconstituer »
Pierre Lacroix préside la fédération de pêche des Deux-Sèvres : « Fin novembre, il y a 700 km d’assecs sur 2.000 km de rivière dans le département. Cela dure depuis les années 1990, quand l’irrigation à outrance a commencé à se développer. Avec les bassines, on va pérenniser une agriculture qu’on ne voudrait plus voir, car elle n’est pas adaptée aux sols. » (...)

c’est tout un modèle agricole et son soutien par les pouvoirs publics que le collectif conteste. « En amont, le semencier Pioneer France maïs vient de s’installer dans la région. En aval, il y a la Sica Atlantique et le port de La Pallice, à La Rochelle, pour l’exportation. Et moi, paysan-boulanger, je me situe au même point que n’importe quel indigène qui se fait bouffer la vie par l’agro-industrie », observe David Briffaud, installé il y a peu dans un « village en délabrement ». (...)

Le 11 novembre, les opposants ont réussi une démonstration de force en réunissant 1.500 personnes pour une chaîne humaine à l’endroit prévu pour la plus grosse des bassines (18 ha, à Amuré). Fin octobre, les arrêtés préfectoraux autorisant la construction des réserves ont été signés. Cinq maires (dont Marcel Moinard) concernés par les projets ont refusé de signer les permis d’aménager. Ils estiment contraire au code de l’urbanisme de transformer des parcelles agricoles en retenues.

Actuellement, ce sont les financements qui retardent le début des travaux. (...)

les membres du collectif Bassines non merci veulent maintenant se montrer force de proposition. « On est tellement accusé d’être contre que nous avons décidé de lancer un gros travail pour montrer comment il est possible de repenser notre agriculture et notre territoire », affirme Julien Le Guet. Et si les bulldozers devaient arriver ? « Il y aurait du monde en face, il y aura une Zad s’ils passent en force : “No bassaran.” » Ce jeudi 21 décembre, ils appellent à un rassemblement à La Rochelle, devant la préfecture.