
Avec ce troisième article sur la biofortification [1] [2], Inf’OGM souhaite faire connaître à ses lecteurs le concept lui-même, sa genèse, ses acteurs. Et alerter sur ce qui semble à nos yeux, face à un réel problème de malnutrition, une mauvaise solution, car ouvrant les portes aux OGM
Pendant de nombreuses années, l’amélioration variétale a porté en priorité sur la création de plantes vigoureuses et productives en quantité, parfois au détriment de la qualité nutritionnelle. Du coup, mais aussi suite à une alimentation peu variée, « les carences en vitamine riA, en zinc, en fer et en iode sont des préoccupations de soins de santé primaires. Dans le monde, deux milliards de personnes environ sont touchées par une carence en iode et plus d’un tiers des enfants d’âge préscolaire par une carence en vitamine A. Celle-ci constitue la principale cause de cécité évitable chez l’enfant » [3] selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Plutôt que d’ajouter aux aliments, après coup, des compléments en micronutriments (vitamines, et minéraux tels que fer, zinc, iode...), l’idée est de cultiver directement des plantes – céréales ou tubercules - contenant un niveau élevé de ces substances. Pour l’OMS, la biofortification (qu’elle appelle « bioenrichissement ») « consiste à améliorer la qualité nutritionnelle (...) grâce à des méthodes de culture conventionnelles et/ou aux biotechnologies. (...) Le bioenrichissement est donc un moyen d’atteindre des populations pour lesquelles les opérations habituelles de supplémentation et d’enrichissement sont parfois difficiles à mettre en œuvre et/ou sont limitées » [4]. Une définition plus précise est en cours de discussion depuis plusieurs années au sein du Codex alimentarius [5].
Plusieurs projets sont en cours, avec principalement trois éléments (fer, zinc et provitamine A) pour une dizaine de cultures (voir tableau). (...)
À noter qu’en 2009, Monsanto finance également le programme BioFort, pendant brésilien de HarvestPlus, à hauteur de 270 000 euros [12]. D’autres entreprises [13] semencières (comme Bayer, Pioneer et bien d’autres, dont des entreprises semencières sud-africaines) et/ou d’engrais (dont l’association internationale des industries de fertilisants [14]) du monde entier sont aussi impliquées dans le financement de HarvestPlus, ou de ses sous-programmes comme HarvestZinc [15].
Dans cette première période (2003-2008), il s’agit de faire « la preuve du concept », puis de développer, en phase deux (2009-2013), les premières recherches et premiers essais en plein champ, ainsi que des essais alimentaires… La phase trois actuelle du programme (2014-2018) consiste à développer davantage de cultures biofortifiées pour en nourrir les populations. Difficile de savoir avec précision combien de personnes sont touchées par le programme HarvestPlus, puisque ce programme a un intérêt certain, vis-à-vis de ses bailleurs, à « gonfler » les chiffres. Plus de trois millions de ménages cultiveraient et consommeraient déjà des aliments biofortifiés en Afrique [16] [17].
L’objectif de HarvestPlus, pour 2020, est d’atteindre 15 millions de familles paysannes (soit autour de 100 millions de personnes), puis un milliard en 2030 [18].
Piloté depuis le Ciat (Colombie) et l’Ifpri (Washington DC), le projet HarvestPlus possède des antennes en Afrique (République démocratique du Congo, Nigéria, Rwanda, Ouganda, Zambie) ; Asie (Bangladesh, Chine, Inde, Pakistan) ; et Amérique latine (notamment Brésil) (...)
« parce que la sélection conventionnelle est largement acceptée et ne fait l’objet d’aucun obstacle réglementaire, HarvestPlus considère que c’est la voie la plus rapide pour obtenir des cultures plus nourrissantes » [26] .
Pourtant, lorsqu’on examine le schéma de sélection pour enrichir les cultures, sur le site web de HarvestPlus [27], l’approche transgénique est explicitement mentionnée… Pour l’utiliser dans une phase ultérieure du projet ? D’après Wendy Levy, journaliste, « HarvestPlus étudie ces technologies et les considère comme une option pour l’avenir, par exemple pour obtenir un enrichissement en fer difficile à atteindre par la sélection conventionnelle » [28]. Et sur les nouvelles technologies de transformation du vivant, certains chercheurs également sont enthousiastes : « [elles] vont révolutionner notre façon de penser la transformation des cultures alimentaires pour augmenter le statut nutritionnel global », peut-on ainsi lire dans une étude publiée en 2015 (...)
Alors, la biofortification, cheval de Troie des OGM ? D’autres articles suivront donc, avec les premiers résultats enregistrés, la question des brevets, et les autres problèmes posés, qui permettront, sinon de répondre à cette question, du moins d’exercer notre vigilance...