Dans un avis très sévère, la Médiatrice européenne Emily O’Reilly dénonce l’attribution d’un contrat de conseil au premier gestionnaire d’actifs par la Commission européenne. BlackRock « a manifestement un intérêt sur le développement de la future réglementation européenne qui aura un impact sur elle-même et sur ses clients ».
Les institutions européennes ont manifestement le plus grand mal avec la notion de conflit d’intérêts. Déjà plusieurs fois prise en flagrant délit sur cette question (lire ici, ici ou là), la Commission européenne vient de se faire à nouveau rappeler à l’ordre par la Médiatrice européenne Emily O’Reilly ce 25 novembre pour avoir confié en mars à BlackRock une mission d’audit et d’expertise afin d’« intégrer les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) » dans les règles bancaires. (...)
Saisie par 84 députés européens, essentiellement écologistes, et plusieurs ONG, Emily O’Reilly rend, au terme d’une longue enquête, une décision très sévère sur les choix de la Commission européenne. Elle estime qu’« il existe des préoccupations légitimes sur les risques de conflit d’intérêts qui pourraient avoir des conséquences négatives sur l’exécution de ce contrat, car l’entreprise [BlackRock – ndlr] a manifestement un intérêt sur le développement de la future réglementation européenne qui aura un impact sur elle-même et sur ses clients. […] La Commission aurait dû être plus rigoureuse, et dans une perspective plus large, vérifier dans le respect des règles, que l’entreprise ne faisait pas l’objet de conflit d’intérêts susceptible d’affecter sa capacité à exécuter le contrat ». Avant de conclure qu’il est plus que nécessaire que les institutions européennes revoient leurs procédures d’attribution de contrats et de marchés publics, afin d’en finir avec ce mélange des genres insupportable.
Pour BlackRock, cet avis constitue un sérieux revers : toute sa stratégie d’entrisme, c’est-à-dire de peser sur les régulations, sur les choix futurs en matière de transition écologique se retrouve mise à nu, posant le soupçon sur les décisions à venir de la Commission européenne. (...)
depuis des années, il murmure à l’oreille des puissants. (...)
« Larry est un grand manipulateur, mais qui fonctionne de manière binaire. Dans la vie, mon gars, il y a ce qui rapporte et ce qui ne rapporte pas », écrit Denis Robert dans son dernier livre Larry et moi (éditions Massot). Chaque mouvement de BlackRock doit se lire selon ce critère. Début janvier, le gestionnaire d’actifs a ainsi entrepris une révolution copernicienne, en annonçant sa volonté de ne plus investir dans les activités polluantes.
L’engagement a été applaudi par la communauté financière et les responsables politiques (...)
Cette conversion tombait aussi à pic. Fin janvier, la Commission européenne examinait les candidatures des conseils susceptibles de venir l’épauler pour établir les règles, notamment financières et environnementales, en vue d’accompagner la transition écologique. Et BlackRock était dans la liste. C’est lui qui a finalement été retenu officiellement en mars.
Dès le début, les responsables européens auraient dû avoir la puce à l’oreille. (...)
Les enjeux sont immenses. Tout en proclamant sa volonté de développer une économie bas carbone au plus vite en Europe, la Commission européenne s’en tient à ses principes fondamentaux : le privé doit être le moteur de cette politique de transition. (...)
Qu’est-ce qui est vert et qu’est qui ne l’est pas ? Depuis quelque temps, le mot taxonomie est devenu une référence dans les instances européennes. Il s’agit de classer les activités selon leur impact environnemental. Le but est de créer un langage commun en Europe afin de lutter contre le verdissement artificiel et de permettre d’orienter les financements et/ou les politiques en faveur des secteurs qui présentent des bénéfices environnementaux. Pour l’Europe, ce référentiel est censé servir de socle à une finance durable (...)
Le classement des activités dans l’une ou l’autre section donne lieu à des sérieuses foires d’empoigne entre les pays membres. Ce sont des pans entiers de leur industrie qui peuvent se retrouver menacés à plus ou moins long terme. Mais toutes les activités bancaires sont aussi concernées. Car elles sont engagées depuis des décennies au côté de nombre d’entreprises polluantes. La BCE elle-même se trouve engagée : 63 % de son portefeuille d’obligations d’entreprise, acquis dans le cadre de ses rachats de titres, serait lié à des activités polluantes, selon les estimations.
Demain, ces entreprises courent le risque de devenir des actifs échoués, sans aucune valeur ou presque. Et les crédits ou les investissements que les banques leur ont consentis pourraient se retrouver irrécouvrables. (...)
cette transformation se chiffre en milliers de milliards d’actifs. Elle touche tous les secteurs industriels et financiers. Et BlackRock se sent concerné au premier chef. (...)
actionnaire, parfois même actionnaire important si le contrôle est dispersé, de quasiment tous les plus importants groupes pétroliers et gaziers, des conglomérats miniers, des producteurs de charbon, dans les industries fossiles et les activités d’extraction en tout genre. « BlackRock figure parmi les trois premiers actionnaires les plus importants dans les 25 plus grandes sociétés mondiales cotées liées à la déforestation », selon une étude de report des Amis de la Terre, Amazon Watch et Profundo citée par Change Finance et CEO.
Mais c’est aussi un actionnaire important de toutes les grandes banques européennes, allant de Deutsche Bank à BNP Paribas en passant par Barclays et Intesa, Santander ou HCBS pour ne citer que quelques-unes d’entre elles. (...)
Il manque cependant une conclusion évidente à cet état des lieux accablant dressé par la Médiatrice. Emily O’Reilly ne demande pas l’annulation du contrat de conseil de BlackRock auprès de la Commission européenne.
Dans une lettre adressée à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, des députés européens écologistes dont Damien Carême, Yannick Jadot, Philippe Lamberts demandent l’annulation immédiate du contrat attribué à BlackRock. « Cela est fondamental pour préserver à la fois le travail en cours sur l’intégration des facteurs ESG dans la supervision bancaire et l’intégrité de nos institutions », insistent-ils. Ils réclament aussi un renforcement très net de la réglementation pour prévenir les conflits d’intérêts, comme le recommande la Médiatrice.
Au fait, combien de rapports y a-t-il eu à la suite de scandales à répétition sur les conflits d’intérêts, les pantouflages, sans que rien ne bouge ?
– Pétition : L’UE doit cesser de demander conseil au plus grand investisseur en energies fossiles au monde
(...) Maintenant que le Médiateur s’est exprimé, la Commission européenne n’a plus d’excuse. Elle doit abandonner le contrat avec BlackRock et ignorer toute recommandation que le géant de la finance pourrait faire.
Plus que jamais, nous avons besoin de votre signature pour tirer la sonnette d’alarme et pousser la Commission à faire ce qu’il faut. (...)