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Boko Haram au Nigeria : la bataille est remportée, mais pas la guerre ?
Article mis en ligne le 11 mai 2017

(...) Le profil des membres de Boko Haram est pluriel. Dans ses rangs cohabitent des idéologues érudits, des opportunistes en quête de pouvoir ou d’argent, et des hommes et des femmes kidnappés et enrôlés de force. À Locos, comme dans les autres parties de la ville autrefois sous leur contrôle, ils tuaient et extorquaient sous le nez des forces de sécurité, taxant qui leur chantait pour le simple fait de respirer. (...)

Cette guerre a fait plus de 20 000 victimes, forcé plus de 1,8 million de personnes à l’exil et en a affamé plus de deux millions. Il semblerait que l’effroyable conflit s’engage à présent dans une phase nouvelle et incertaine.

Boko Harama contrôlait autrefois l’essentiel du nord-est de l’État de Borno, avec des points d’ancrage dans les États voisins de Yobe et d’Adamawa. L’effectif du groupe a à jour été estimé à 15 000 hommes. C’est aujourd’hui l’armée qui semble gagner du terrain. Boko Haram reste actif à Borno, mais le dernier territoire sous son contrôle se trouve au nord, dans la bande de désert à la frontière avec le Tchad et le Niger.

Les membres de Boko Haram continuent de s’attaquer aux postes de l’armée, et à poser des bombes. Les explosions sont rarement médiatisées – il s’agit presque exclusivement d’attentats perpétrés par d’« insignifiantes » jeunes filles dans des centres urbains bondés, rappelant de façon déconcertante le dessein meurtrier de l’insurrection.
Mais le conflit s’essouffle. Le bilan meurtrier des derniers mois de 2016 n’avait jamais été aussi bas depuis février 2013, d’après le groupe de suivi ACLED (le début d’une légère hausse se dessine toutefois).

Aux problèmes de Boko Haram vient s’ajouter la scission du groupe. L’État islamique autoproclamé semble avoir destitué Abubaker Shekau, ce chef charismatique et coléreux parlant l’arabe classique. L’EI soutient désormais Abu Musab al-Barnawi, qui a remis en cause le recours aveugle à la violence caractérisant Shekau. Mamman Nur, un autre chef puissant, se serait lui aussi aligné sur al-Barnawi.

L’heure du dialogue est-elle venue ?

Nombreux sont les antécédents, parfois grotesques, de « pourparlers secrets » avec les djihadistes. Mais la libération de 21 écolières de Chibok en octobre indique que des contacts plus solides ont été établis. Le gouvernement a confirmé que d’autres jeunes filles pourraient être relâchées sur les 195 encore retenues captives depuis 2014.

Zannah Mustapha, l’un des médiateurs impliqués dans les négociations, envisage une issue plus prometteuse encore. Il entrevoit la possibilité d’un accord portant sur une zone tampon sécurisée et un accès humanitaire aux zones contrôlées par Boko Haram, aboutissant in fine à l’arrêt des hostilités.

Les pourparlers, menés par téléphone avec des dirigeants de Boko Haram parfois fantasques, sont coordonnés par le Service de sûreté de l’État nigérian avec le soutien du gouvernement suisse. Le Comité international de la Croix-Rouge tient le rôle d’« intermédiaire neutre ». (...)

Le profond manque de confiance dans la capacité du gouvernement à protéger ses citoyens ressortait clairement. Boko Haram a commencé comme mouvement religieux communautaire intolérant, avec d’influents soutiens politiques. Les signes avant-coureurs des violences à venir ont été ignorés
(...)

Les femmes retenues captives seraient accueillies, ont confirmé d’un hochement de tête les personnes assises à la table. L’accueil des enfants nés de combattants de Boko Haram a également été approuvé à contrecœur. Quant aux jeunes garçons forcés à combattre, ils pourraient également être pardonnés. Mais il est clair que la réintégration ne peut faire l’objet d’une approche générique.

« C’est une avancée », a dit Harriet Atim, la responsable du programme de stabilisation de Mercy Corps. « L’an dernier, les gens se levaient et quittaient la pièce à la seule mention du mot réintégration. » (...)

Les gens forment une communauté, et le besoin de guérir est l’enjeu non résolu de la réconciliation, affirme la psychologue Fatima Akilu (voir photo). Elle est favorable aux processus de vérité et de réconciliation comme moyen de faire avancer une société fracturée. « Les gens n’arrêtent pas de me dire : “Personne ne m’avait encore laissé raconter mon histoire”. » (...)

Toutes ses économies sont parties dans l’ouverture du premier centre de traumatologie pour enfants du Nigeria, à Maiduguri, et elle propose des services de consultation au sein de la communauté. Mais Mme Akilu, qui a créé le programme de déradicalisation nigérian alors qu’elle était directrice de l’ONSA, s’inquiète pour l’avenir. « On ne s’attaque pas aux raisons fondamentales motivant les gens à rejoindre Boko Haram : le manque d’accès à la justice, la marginalisation... [pour n’en citer que quelques-unes] », a-t-elle dit. « L’idéologie a été semée. »

Les autorités ne semblent toujours pas préparées. Il n’existe pas de système complet d’alerte précoce vers lequel se tourner ; aucune garantie qu’une réponse sécuritaire sera mise en place, ou que les personnes dénonçant des abus seront protégées. Les imams ne sont pas enregistrés, et le nord-est continue d’accuser un retard éducatif.

« Nous sommes incapables de planifier à long terme », a dit Mme Akilu. « Or cette insurrection exige une planification à long terme, et que nous gardions notre sang-froid. »