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le Monde Diplomatique
Bouchers roumains pour abattoirs bretons
par Mathilde Goanec, novembre 2011
Article mis en ligne le 9 mai 2012
dernière modification le 6 mai 2012

Même les prévisions les plus optimistes tablent sur un regain du chômage dans la quasi-totalité des pays européens. La course à l’emploi qui en résulte favorise la mise en concurrence des salariés, le patronat jouant sur les différences de protection sociale. En Bretagne, dans les abattoirs, les bouchers polonais ou roumains ont fait leur apparition.

(...)« Ce sont des métiers très durs et de moins en moins bien payés, par rapport à l’évolution des prix. Moi, ça fait neuf ans que je suis dans ce secteur, et quand j’ai commencé, on gagnait certainement mieux notre vie. » Le plus souvent cantonnés aux travaux les plus difficiles — abattage, découpe et parage (opération qui consiste à préparer et dégraisser la viande) —, les ouvriers venus de l’Est font désormais partie du paysage. (...)

Au cœur des échanges, il y a ces agences d’intérim enregistrées dans le pays d’origine des migrants
. ArcForce, bien connue des directions locales et des syndicats, constitue un modèle du genre. Son site Internet, en français et en roumain, propose une liste, photographies à l’appui, de collaborateurs « disponibles sous trente jours ». Lesquels sont désosseurs, ouvriers découpe, bouchers, mais aussi manutentionnaires, cuisiniers, soudeurs... Leurs curriculum vitae s’affichent avec leur âge, leur formation et leur expérience dans l’intérim. D’autres agences en ligne, telle Assistance Recrutement, qui fournit à la France des travailleurs polonais tout en ayant son siège au Royaume-Uni, annoncent la couleur : « Le travailleur détaché est employé et rémunéré par l’agence d’intérim. C’est elle qui élabore le contrat de travail et paie les cotisations sociales. Tout en respectant la législation en France, l’intérimaire dépend de la loi fiscale et sociale de son pays d’origine. A salaire net équivalent, il est donc possible pour votre entreprise de réaliser une économie substantielle.  » (...)

La réalité est encore moins reluisante. En mars 2010, la police de l’air et des frontières ainsi que l’inspection du travail débarquent dans l’un des ateliers de découpe de la Cooperl à Lamballe. Treize Roumains sont arrêtés pour travail illégal. L’un d’entre eux témoigne, sous couvert d’anonymat : « Nous avons passé une nuit en garde à vue à Rennes. Ils sont venus nous chercher sur notre lieu de travail, à notre place sur la chaîne, et nous ont embarqués en voiture. Le motif, c’est qu’on n’avait pas le droit de travailler plus de trois mois sans titre de séjour. Je ne le savais pas. Pour nous, tout était légal. On a dû repartir en Roumanie pour refaire des papiers (2). » Intérimaire depuis 2008, l’homme a ensuite été intégré en contrat à durée indéterminée (CDI) au sein de la Cooperl, comme vingt-deux autres Roumains, sous la pression de l’administration judiciaire et de l’inspection du travail.
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Si la loi oblige à une égalité de traitement avec les Français, il est difficile de savoir ce qui tombe effectivement dans la poche du travailleur étranger. Les agences d’intérim indélicates n’hésitent pas à opérer sur le salaire des « déductions » diverses, correspondant au logement sur place, au coût de transport entre le pays d’origine et la France, aux frais d’interprétariat, etc. Ce qui est illégal. (...)

Le jeu autour des cotisations sociales occupe une place centrale : ces agences d’intérim, souvent fictivement basées à l’Est, profitent de manière indue du « principe du détachement », qui permet de payer les cotisations dans le pays d’origine (où elles sont bien moins élevées) plutôt qu’en France.
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Les cotisations sociales, payées dans le pays d’origine, représentent des économies pour l’employeur en France… et autant de pertes pour les caisses de l’Etat français (...)

Autre avantage, dans un secteur miné par les troubles musculo-squelettiques : les entreprises utilisatrices ne sont pas tenues d’assumer le coût des problèmes de santé des intérimaires étrangers auprès des caisses d’assurance-maladie. (...)

Impossible de connaître le nombre de ces Roumains ou Polonais qui travaillent à la chaîne dans les abattoirs bretons. Ils débarquent, repartent. Les employés français découvrent leur présence en salle de pause, lorsque les langues se délient, et peinent souvent à communiquer avec eux. D’où leur crainte d’un détricotage progressif du droit du travail, sous la pression d’une concurrence plus docile et moins organisée.
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Dans le cadre de l’Union européenne, ces pratiques confuses sont le résultat d’une cacophonie législative.
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