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Bref, j’ai déposé un recours à la « cour suprême » des réseaux sociaux
Article mis en ligne le 28 janvier 2021

Après la suppression d’un post posant la fatidique question « Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ? », Instagram m’a donné la possibilité de déposer un recours auprès de leur conseil de surveillance. Je partage avec vous le contenu de ma requête.

Depuis quelques jours, une question portant sur la responsabilité des hommes dans les violences sexistes et sexuelles est censurée sur les réseaux sociaux. Vous trouverez un résumé de la situation dans cet article de Numérama. Cette question, je l’ai partagé, et mon post a été supprimé. Puis un second, celui de la photo d’un collage de rue posant la question interdite. Mon compte, de 104 000 abonné.e.s est menacé de suppression. Après plusieurs demande de réexamens, Instagram m’a donné la possibilité de faire un recours auprès d’une sorte de cours suprême indépendante baptisée « conseil de surveillance ». J’ai eu envie de documenter cette démarche dont vous retrouverez les étapes ci-dessous.

Une cours suprême dédiée aux questions de modération :

C’est dans Le Monde que nous apprenons la mise en route opérationnelle de ce dispositif présenté comme une "structure externe à l’entreprise [qui] va commencer à recevoir des réclamations concernant des contenus retirés des plates-formes Facebook et Instagram.".

Ce conseil de surveillance comprend selon site internet dédié "des membres venant d’horizons culturels et professionnels variés, notamment afin de refléter la diversité de la communauté Facebook elle-même. Forts de leur expérience dans la délibération réfléchie et collégiale, les membres du Conseil de surveillance ont été choisis car ils sont qualifiés pour prendre et expliquer des décisions basées sur un ensemble de règles ou principes et disposent de solides connaissances en matière de contenu numérique et de gouvernance." (...)

Ce conseil n’est accessible qu’après avoir épuisé les recours de l’application. J’ai demandé un reexamen et la suppression de mon contenu est tombée en quelques secondes. C’est très frustrant et je suis contente d’avoir la possibilité, même si les chances que ça aboutisse sont très faibles, de pouvoir "plaider mon cas". (...)

Cette question, ce post : vous les avez supprimés au motif qu’il était un "discours haineux". Il me semble pourtant qu’aucun réseau social ne devrait interdire à une communauté discriminée de questionner le groupe social des hommes. Car, aussi désagréable que ce soit, 96 % des personnes condamnées en France pour des infractions sexistes sont des hommes selon le ministère de la Justice*. En empêchant les victimes de désigner qui les violentent, en interdisant un débat de société qu’il est plus que temps d’avoir, vous silenciez les victimes, et participez au maintien du statu quo, et même de l’omerta autour des violences sexuelles dont la France est un un triste et illustre exemple.

Je ne peux pas admettre que ce soit la volonté de ce réseau social sur lequel je m’épanouis depuis bientôt deux ans, auprès d’une communauté de 104 000 personnes. (...)

Ce qui pose problème dans cette question Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ?”, c’est qu’elle lève un tabou : elle met au centre du sujet des violences sexuelles, leurs auteurs majoritaires, le groupe social des hommes qui représente 96% des condamnés pour une infraction sexiste.*

En intervenant dans ce débat, en silenciant cette question, les réseaux sociaux empêchent un débat national nécessaire en France, un pays en retard sur la question des violences sexuelles.

Ce contenu interroge également le double standard en vigueur sur votre réseau social et restitué dansl’article de Numérama : une simple question sur le rôle des hommes dans les violences sexuelles est supprimée, quand des centaines d’occurrences anti-féministes et misogynes sont en ligne (...)

Lire aussi :
 Par Caroline De Haas : Comment fait-on pour que les hommes cessent de violer ?
(...)

On interroge et on remet en cause le pouvoir des hommes sur les femmes. Collectivement et individuellement.

Avant de commencer, trois précisions.

La première, c’est sur l’expression « les » hommes. On a vu des personnes monter très haut dans les tours sur ces trois petites lettres : "vous dites « les » alors que c’est « des ». Ouin, ouin, ouin". Hum. Bizarre, lorsqu’on dit « les femmes moins payées que leurs collègues masculins » ou « les étudiants dépriment », personne ne pense qu’on parle de « toutes » les femmes ou de « tous » les étudiants. C’est pareil.

Deuxième précision. Les violences sexuelles, et notamment les viols, ont lieu dans l’immense majorité des cas dans le cadre familial ou du travail. Dans 90% des viols, les victimes connaissent l’auteur. C’est un conjoint, un père, un beau-père, un frère, un collègue. Donc : toutes celles et ceux qui vont me parler d’immigration et de « c’est un problème de culture », allez faire un tour ailleurs. Vos propos racistes ne sont pas les bienvenus.

Dernier élément : on va parler de violences sexuelles. Cela peut être douloureux. Si vous sentez à la lecture que ça génère chez vous du stress, de l’anxiété ou du mal-être, coupez et prenez soin de vous.

Ceci étant dit, comment faire pour que les hommes cessent de violer ?

Le viol : un fait massif et structurel (...)

Concernant les violences sexuelles sur les enfants, on estime que 6,7 millions d’adultes en France ont subi l’inceste. L’association l’Enfant bleu estime que 16% des Français.e.s ont subi une maltraitance sexuelle dans leur enfance.

Bref, toutes les enquêtes le montrent : le viol est un fait massif en France. A ce niveau d’ampleur, le viol n’a plus uniquement des conséquences sur les victimes. Il a aussi des conséquences structurelles sur le fonctionnement de toute la société.

Qui sont les auteurs ? Ce sont des hommes, quasi tout le temps. Ils représentent plus de 98% des condamnés.

Ensuite, ce sont des proches des victimes. Dans 91% des cas, les femmes victimes de viols et de tentatives de viol connaissent l’agresseur. Dans plus de 40% des cas, il s’agit de leur conjoint ou ex-conjoint.

(S’il reste quelques racistes en mode « ce sont les migrants le problème », c’est le moment de partir très loin).

Le viol, un rapport de pouvoir

On touche donc à un problème structurel, celui des rapports sociaux entre les femmes et les hommes. Des rapports intimes qui sont, de fait inégaux. Qui sont des rapports de pouvoir.

« Oui mais attend, y a des inégalités mais au niveau des individus, c’est pas pareil ». Faux.

Les rapports individuels, au travail ou dans le couple, ne sont pas « magiquement » protégés des inégalités qui existent dans la société. En fait, ils en sont même une composante essentielle. Concernant les violences sexuelles sur les enfants, on estime que 6,7 millions d’adultes en France ont subi l’inceste. L’association l’Enfant bleu estime que 16% des Français.e.s ont subi une maltraitance sexuelle dans leur enfance.

Bref, toutes les enquêtes le montrent : le viol est un fait massif en France. A ce niveau d’ampleur, le viol n’a plus uniquement des conséquences sur les victimes. Il a aussi des conséquences structurelles sur le fonctionnement de toute la société.

Qui sont les auteurs ? Ce sont des hommes, quasi tout le temps. Ils représentent plus de 98% des condamnés.

Ensuite, ce sont des proches des victimes. Dans 91% des cas, les femmes victimes de viols et de tentatives de viol connaissent l’agresseur. Dans plus de 40% des cas, il s’agit de leur conjoint ou ex-conjoint.

(S’il reste quelques racistes en mode « ce sont les migrants le problème », c’est le moment de partir très loin). (...)

Comment fait-on résultat ? On prend le problème des deux côtés : on change les rapports de pouvoir dans la société et on change les rapports de pouvoir individuels.

Facile à dire, moins facile à faire, certes. (...)

En matière de répartition du pouvoir, l’indépendance économique et le partage de la parentalité sont deux éléments clés. (...)

Les propositions sont très nombreuses, documentées par les associations et les syndicats. (...)

Faire évoluer les rapports de force individuels

On n’a pas d’exemple de pays ayant réussi à en finir avec les violences. Donc on peut juste proposer des pistes sans être complètement sûres que ça va marcher. Ce qui est certain, c’est que faire bouger des dizaines de millions de consciences en même temps, c’est un niveau d’investissement social, financier et politique immense. Sans moyens humains et financiers, nous ne ferons pas bouger les choses.

Il y a plusieurs leviers pour faire changer des comportements. La loi en est un. Mais il n’est manifestement pas suffisant. (...)

Je suis convaincue qu’on peut s’inspirer de politiques publiques d’ampleur qui ont fait changer les comportements sur d’autres sujets. Le parallèle est limité certes, parce qu’on parle de sujets peut-être moins ancrés, intimes (encore que) mais il peut être inspirant.

Regardons ce qu’on a fait sur la cigarette ou la sécurité routière. (...)

Les enfants, depuis plusieurs décennies, apprennent le code de la route. Comme on leur apprend qu’on met pas les doigts dans la prise. On répète, on apprend.

En changeant les règles, en les répétant, on crée une nouvelle norme. Et avec cette norme, on génère de fait une forme de sanction sociale pour celles et ceux qui ne la respectent pas. Il y a 40 ans, quelqu’un qui se levait de table bourré et prenait ses clés, on lui disait « rentre bien » voire « allez, un dernier pour la route ». Aujourd’hui, on va souvent lui dire « attend, on te ramène » ou « dors ici ». Pression sociale.

Quand un homme qui racontera avoir forcé sa copine à faire ceci ou cela se prendra de la part de ses potes des remarques en mode « mais c’est un viol ça, tu peux pas, c’est dégueulasse » plutôt que des rires admiratifs, son comportement s’en trouvera affecté.

On pourrait créer cette nouvelle norme. Passer de la norme « une femme qui dit non, c’est un peu oui » ou « qui ne dit mot consent » à une norme qui fasse du respect et du consentement la règle.

On pourrait conditionner une population à ne pas violer. (...)

On pourrait lancer une vaste opération d’apprentissage du respect. A l’école, dans les entreprises, dans les médias, dans la société. On fait collectivement et individuellement lever le niveau d’exigence de non-violence. Pour rendre l’atteinte à la dignité et le non-respect du consentement insupportable socialement.

Lancer un plan d’éducation sexuelle

En parallèle, on lance un vaste programme d’éducation sexuelle. Valerie Rey-Robert le dit ici. Elle a raison. On ne luttera pas contre les violences sexuelles sans éducation sexuelle. (...)

Le respect, le rapport au corps de l’autre, le consentement, ça s’apprend. Ce n’est pas inné. Et actuellement, notre société nous apprend plutôt l’inverse. Nous sommes conditionné·e·s à ne pas penser les femmes ou leurs sexualités à égalité d’humanité. (...)

Pour faire en sorte que les hommes cessent de violer, il faut donc faire bouger les rapports de force.

Les rapports de force économiques et sociaux (collectifs) et les rapports de force intimes et individuels. On peut former les femmes, leur apprendre à dire oui ou non quand elles ont envie. On peut aussi, et ça sera sans doute beaucoup plus efficace, apprendre aux hommes à regarder, penser, considérer les femmes comme des êtres humains aussi importants qu’eux. Et à les respecter comme telles.