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Rue89 Bordeaux
Bruce Bégout : « Le Gilet jaune signale un accident social »
Maître de conférences à l’université Bordeaux III, Bruce Bégout est écrivain et philosophe travaillant sur les phénomènes urbains.
Article mis en ligne le 26 janvier 2019

Bruce Bégout : En premier lieu, je m’interroge sur ce qu’est un Gilet jaune. Le mouvement est assez complexe et parfois même contradictoire. J’aurai du mal à dire que je suis Gilet jaune. En revanche, dès ses débuts en novembre, alors que beaucoup ont vitupéré d’emblée contre ces manifestations, je comprenais ce mouvement et ce qui était de la compréhension est devenu de la sympathie. Dans ce sens là, je peux affirmer que je suis loin d’être un non-Gilet jaune.

C’est un phénomène social sans conteste. Politique aussi et économique. Tout le monde s’accorde à dire que, depuis Mai 68, il n’y a pas eu un tel mouvement social, bien qu’il soit très différent de Mai 68 dans sa représentation politique et territoriale. Ce qui est remarquable, c’est que ce soit un phénomène qui dure. Il y a eu des réactions de contestation, mais qui ne se sont pas inscrites dans la durée. Celui des Gilets jaunes témoigne d’un malaise profond dans la société française et, selon moi, dans la société européenne aussi. C’est plus qu’un phénomène, c’est un événement. (...)

Il dure parce qu’il correspond précisément à des inégalités et à des injustices qui sont profondes dans notre société. Si ce n’était qu’un phénomène du à une sorte d’intoxication, comme certains le croit, ça ne durerait pas. Ça dure parce qu’il renvoie à quelque chose de réel, économique et social. Ça dure parce qu’il est en phase avec des revendications qui viennent de loin et qui ont été souvent tues, refoulées ou réprimées. (...)

Depuis le début des années 90 je fais ce constat : la manière dont on conçoit le développement économique et territorial ne peut pas fonctionner. (...)

Les manifestations contre la loi travail étaient menées par des syndicalistes. Bien évidemment ça concernait tout le monde, mais la représentativité était beaucoup plus monolithique. (...)

On n’a jamais eu une telle diversité dans la représentativité sociale. Contrairement à Mai 68, mené par des étudiants et des ouvriers, on voit là des papis et des mamies qui contestent. C’est du jamais vu en France. (...)

Tous voient concrètement que, discours après discours, gouvernement après gouvernement, politique après politique, rien ne change ! Ils ne sont pas dupes. (...)

La question de la légitimité de la violence et très complexe. Je vois des gens qui jusqu’à présent avaient des casiers judiciaires vierges, des gens bien, des ouvriers, des infirmiers, des employés… qui se sont mis à balancer des pavés et casser des choses. Ça témoigne d’une grosse colère.

Il faudrait retourner la question : le dialogue est tellement à l’arrêt que si les gens demandent les choses sans violence, ils n’obtiennent rien. Dès qu’ils commencent à casser, ils obtiennent la suppression de la CSG et les taxes sur les carburants. Donc qui légitime la violence ? C’est le gouvernement lui-même dans ce cas.

Quant aux violences policières, elles sont inacceptables. Qu’on arrête les casseurs, pourquoi pas. Mais tirer sur les manifestants ! Quand on voit le profil des blessés, ce sont des citoyens ordinaires. Ça va laisser des traces, ces injustices. Il y a une disproportion totale entre le problème et la réponse. (...)

C’est un mouvement très horizontal. Il y a un refus du chef providentiel. C’est pour cela que le mouvement n’est pas populiste. Il est globalement porté par des idées de gauche : le conseillisme, les assemblées citoyennes… (...)

Si on ne prend pas en compte la puissance, la profondeur et la constance de ce mouvement, il reviendra de manière encore plus violente. Tant que les inégalités n’auront pas été changées, rien ne changera fondamentalement. (...)