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« C’est parce que c’est une free party qu’il faut la mater » : comment l’État chasse la jeunesse libre
Article mis en ligne le 17 mars 2021

Les free party et les sound systems étaient déjà stigmatisés. Au prétexte de la pandémie, ils sont désormais la cible d’une répression digne de l’anti-terrorisme. Une nouvelle preuve de la dérive en cours pour restreindre les libertés individuelles.

Dans la nuit du 31 décembre 2020, une rave party à Lieuron, en Bretagne, clôture une année de pandémie et de restrictions. 2500 teufeurs y participent. La fête, surmédiatisée, est également surstigmatisée, en ces temps de crise sanitaire où il est mal vu de se réunir à plusieurs en faisant fi des gestes barrières. Neuf personnes seront inculpées, l’une fera trois semaines de détention. Déjà, en juin 2019 sur les quais de Loire à Nantes, la police avait voulu éteindre un sound system, qui aurait dépassé l’heure légale accordée à la fête de la Musique. Son intervention violente et non justifiée avait provoqué une panique générale. Un jeune homme, Steve Maia Caniço, était retrouvé noyé.

Le sound system qui faisait danser Steve était hors zone résidentielle, un soir de festivités nationales. Le sound system qui a fait danser les bretons n’a pas engendré le cluster tant décrié [1]. Dans les deux cas, « c’est bien parce que c’était une fête techno, une free party, fête libre, qu’il fallait qu’elle soit matée et à n’importe quel prix. Mais les médias et l’histoire ne retiendront sans doute pas cela, assène l’association de prévention Techno+, sur le terrain des raves depuis 25 ans [2] La responsabilité des médias est importante sur l’absence d’objectivité dans le regard de la population. La tenue de ces événements est aujourd’hui vécue comme un affront à l’autorité ».

Cet « affront » qu’il faudrait à tout prix museler est plus que jamais d’actualité dans le contexte sanitaire ultrasensible que nous vivons. Paradoxalement, la répression qui s’abat sur le monde de la free party a permis de mettre en lumière une forme de criminalisation de la fête, quelle qu’elle soit, de stigmatisation de ce qui ne rentrerait pas dans « l’ordre » gouvernemental. Les teufeurs, avant tout avides de liberté, ont rejoint les cortèges des opposants à la loi « Sécurité globale ». Mais alors, comment et pourquoi le milieu de la free est-il aussi un garant de nos libertés ?
Le mouvement free vu par les autorités : incontrôlable, transgressif, déviant... (...)

le milieu de la free party est considéré comme un cas à part du monde de la culture, puisqu’il est le seul à dépendre du ministère de l’Intérieur et non de celui de la Culture.
« Quand les organisateurs veulent se mettre dans la légalité, on leur oppose une fin de non-recevoir »

Un étrange statut, qui lui confère d’emblée son caractère transgressif, et semble autoriser de facto les forces de l’ordre à le réprimer sèchement, tout en faisant semblant d’ignorer son existence. Si l’on se réfère à la loi, il faudrait donc déclarer la fête pour que celle-ci puisse avoir lieu. « Mais quand les organisateurs veulent se mettre dans la légalité, on leur oppose une fin de non-recevoir, s’agace Me Rostan. C’est impossible de déclarer une fête en préfecture car vous n’obtiendrez jamais le récépissé ! Légalement, on doit pourtant obtenir un récépissé à l’issue d’une déclaration. Mais la préfecture ne veut pas se mouiller en acceptant la responsabilité de l’événement. C’est une manière pernicieuse pour les pouvoirs publics de tenter d’étouffer le mouvement ».

Ainsi, en 2018, un projet très solide a été déposé pour un teknival. Le ministère n’a jamais répondu. Judiciairement, les teufeurs-organisateurs sont donc souvent poursuivis pour « non-déclaration de fête », alors même qu’ils ont tenté de la déclarer...sans avoir de retour. Le serpent qui se mord la queue ? Loin d’être résignés, les teufeurs sont animés par le désir de retrouver la matrice de la free : ne rien déclarer, poser les enceintes dans un lieu isolé, et danser jusqu’à l’aube. Au risque du contrôle et de l’arrestation. (...)

Une répression digne de l’antiterrorisme

Début janvier, dans l’ouest de la France, un quartier entier est bouclé. Une quarantaine d’hommes armés, en bouclier, explosent la porte d’une colocation et mettent à terre les habitants du lieu, avant de les menotter. Un dispositif digne de l’antiterrorisme, pour des teufeurs. « Ils ont saisi plein de matériel, enceinte bluetooth, câbles neufs, instruments de musique, scie sauteuse, perçeuse, porte de douche encore emballée… Rien qui n’a servi à la rave, ça n’avait aucun sens », se souvient Fred* , qui subit dans la foulée 48 h de garde à vue. Le jeune homme de 27 ans se rappelle même qu’un policier a demandé s’ils avaient des armes. Très angoissé, Fred a demandé à voir un médecin, qui réussira à le rassurer un peu. « Mais je me voyais déjà aller en prison, j’ai pensé à ma famille, à mes amis. » (...)

Les teufeurs ne sont pas à part et s’inscrivent « dans un mouvement général de ras-le-bol »

Fred lui, est passé de seize chefs d’inculpation (!) au départ à six : organisation sans déclaration préalable d’un rassemblement festif à caractère musical, dégradation, mise en danger d’autrui, ouverture sans déclaration préalable d’un débit de boisson, travail dissimulé, aide à l’usage de stupéfiants. Aujourd’hui sous contrôle judiciaire, il ne peut pas sortir de son département, et doit pointer à la gendarmerie tous les quinze jours. « J’ai retrouvé un travail, mais c’est le juge qui va décider, par rapport aux déplacements... Un contrôle judiciaire, c’est une prison invisible, on t’empêche de voir tes amis le temps de l’enquête. » Laquelle peut prendre des années. Depuis des années dans le milieu de la free, Fred et Arnaud, pourtant échaudés, aiment l’évolution de ce milieu écrasé par les préjugés, et qui continue à tenir debout.

« Aujourd’hui les événements sont plus revendicatifs, plus politiques. En fonction des périodes d’élection, il était de bon ton pour les politiques de taper sur la free. » (...)

Les teufeurs ne sont pas à part et s’inscrivent « dans un mouvement général de ras-le-bol »

Fred lui, est passé de seize chefs d’inculpation (!) au départ à six : organisation sans déclaration préalable d’un rassemblement festif à caractère musical, dégradation, mise en danger d’autrui, ouverture sans déclaration préalable d’un débit de boisson, travail dissimulé, aide à l’usage de stupéfiants. Aujourd’hui sous contrôle judiciaire, il ne peut pas sortir de son département, et doit pointer à la gendarmerie tous les quinze jours. « J’ai retrouvé un travail, mais c’est le juge qui va décider, par rapport aux déplacements... Un contrôle judiciaire, c’est une prison invisible, on t’empêche de voir tes amis le temps de l’enquête. » Laquelle peut prendre des années. Depuis des années dans le milieu de la free, Fred et Arnaud, pourtant échaudés, aiment l’évolution de ce milieu écrasé par les préjugés, et qui continue à tenir debout.

« Aujourd’hui les événements sont plus revendicatifs, plus politiques. En fonction des périodes d’élection, il était de bon ton pour les politiques de taper sur la free. » (...)

« Tabassez-les ! Tabassez-les ! »

Ne pas cantonner le milieu de la fête libre à celles et ceux qui font des nuits blanches devant les baffles mais bien le penser plus large, plus vaste dans ces combats, en un mot : politisé. Les teufeurs sont concernés, ils ne sont pas « à part » de la société. « On s’inscrit aussi dans un mouvement général de ras-le-bol, indique Ghislain. D’où la convergence avec la coordination contre la loi dite Sécurité Globale, car nous défendons les libertés individuelles et collectives face aux lois liberticides. » Une convergence justement, qui elle aussi fait l’objet de répression, notamment sur le terrain des manifestations, où les sound systems n’y sont pas plus tolérés qu’au milieu d’un champ. Comme si le politique avait bien compris la portée du son des teufeurs. Et craignait cette convergence. (...)

Alors les pouvoirs publics veulent couper le son. Quitte à frôler l’illégalité et plonger tête la première dans la facilité de la confiscation, voire de l’interdiction. Le 16 janvier dernier, les teufeurs, à l’appel de nombreux collectifs et associations, se joignent à la Marche des Libertés, qui réunit ce jour-là les mécontents de la loi « Sécurité globale » et le monde de la culture, qui appelle à manifester contre la mort des fêtes et des lieux de culture. Camions et chars sont prévus à cette manifestation déclarée. Pourtant, de nombreux témoignages font état d’agents de la BRAV chargeant la foule, montant même sur les camions pour mieux matraquer et asperger de gaz lacrymogène.

L’avocat Raphaël Kempf porte la plainte de 69 personnes pour « chef d’entrave aux libertés d’expression, de manifester, de création artistique et de diffusion de la création artistique ». Cette plainte de 12 pages a été déposée auprès du parquet de Paris le 9 février dernier. On y fait notamment mention « des hurlements d’une commandante de la BRAV qui crie "Tabassez-les ! Tabassez-les !" » ainsi que de « l’ensemble des camions et de leurs conducteurs et conductrices conduits au commissariat où les camions et le matériel ont été saisis pendant plusieurs jours ».
« Après les soignants, les pompiers, les Gilets jaunes, les étudiants, les enseignants, la répression des artistes et des teufeurs ! » (...)

« Qui sait si ce modèle de fête en extérieur n’est pas tout simplement l’avenir de la fête ? »

« Quand le Covid sera calmé, la répression ne nous empêchera pas de faire la fête », assurent Fred et Arnaud, malgré l’épisode de la folle perquisition. « Comment penser l’avenir sans liberté et imaginaire ? Une société sans culture, c’est comme un corps sans âme », résume Ghislain, de Maskarade. Un moyen de dire que, quoi qu’il se passe, la fête reprendra le dessus, tant sur le virus que sur l’appareil étatique. En attendant des jours meilleurs, le milieu s’organise. Une cagnotte spécifique pour les inculpés de Maskarade a été lancée. La question des festivals en extérieur, mise sur la table par les principaux et principales concerné.e.s, amène un espoir pour le monde de la free.

Au vu du contexte sanitaire, et d’un virus qui se transmet surtout dans les lieux clos, l’avocate Marianne Rostan se demande si le moment n’est pourtant pas enfin venu de dégommer définitivement les préjugés : « Qui sait si ce modèle de fête en extérieur n’est pas tout simplement l’avenir de la fête ? » (...)