
Alors que la France vient de rentrer en période de confinement, deux mille réfugiés vivent sans abri sur le littoral nord dans des conditions sanitaires désastreuses. Sur le terrain, les associations sont très inquiètes alors qu’aucune mesure de mise à l’abri n’a pour le moment été mise en place.
La semaine dernière, les associations Utopia 56 et l’Auberge des Migrants alertaient déjà quant au manque de prise en charge de ces populations fragiles, alors que la crise sanitaire s’annonçait. Dans un communiqué publié lundi soir, elles exhortaient de nouveau les autorités à agir. Antoine Nehr, coordinateur au sein d’Utopia 56, est très inquiet.
« La situation est dramatique depuis longtemps, depuis le démantèlement de la grande jungle en 2016 : les politiques migratoires ont été durcies, avec pour objectif d’empêcher les exilés de s’installer et de rester à Calais. Cela se traduit par une présence policière très forte, des démantèlements quotidiens qui fragilisent la population exilée. Les gens sont maintenus dans une grande précarité. Ils sont épuisés, stressés, fatigués, ils vivent à plusieurs dans des tentes, dans des conditions sanitaires déplorables. On estime à plus d’un millier, peut-être 1400 personnes le nombre de gens dehors ici à Calais. Il y a aussi beaucoup de monde à Grande-Synthe. »
« Cette crise est révélatrice d’un manque de prise en charge général, et dans un contexte comme celui-ci, si aucune mesure n’est prise rapidement, si le virus vient à se développer sur les campements, cela va être grave. On a vraiment peur que les personnes vivant à la rue soient les dernières à être mises à l’abri. » (...)
Promiscuité et accès à l’eau extrêmement limité
En périphérie de Calais, des centaines de tentes sont plantées les unes à côté des autres dans des sous-bois jonchés de détritus. Certaines sont recouvertes de bâches. Des petits groupes se réchauffent autour de feux de camp, d’autres le font à la bougie sous les toiles de tente. Ici les gens se plaignent du froid, mais aussi des rats, nombreux et peu farouches. Les réfugiés ont un accès très limité à l’eau : ils ne disposent que d’un unique robinet, il n’y a pas de douches sur place. Dans ces conditions, on voit très mal comment ils pourraient respecter les consignes de sécurité du gouvernement. (...)
l’association La Vie Active, mandatée par l’Etat, distribue le repas aux exilés. Devant la crainte de transmission du coronavirus, ses agents ont exercé lundi un droit de retrait. Mardi, on constatait une présence policière plus forte qu’à l’accoutumée ; tous étaient masqués. Face à eux, à quelques mètres, les réfugiés faisaient la queue avant de pouvoir pénétrer au compte goutte sur l’esplanade grillagée où leur sont distribués les repas. Devant le portail, plusieurs dizaines de personnes attendaient leur tour, les unes contre les autres, sans aucune mesure de sécurité.
« La seule consigne que l’on a eue est de se laver les mains avant et après les repas, la seule mesure prise pour le moment, c’est du savon et deux robinets supplémentaires à l’intérieur de l’espace où sont distribués les repas, expose médusé Valentin, bénévole auprès de l’association Utopia 56. En tant qu’association travaillant sur l’accès aux soins, nous n’avons pas eu d’autre directive que de garder les personnes malades dans leur chambre… ce qui est impossible dans la situation actuelle. »
« En cas de doute, nous appelons le 15, et le SAMU fait une évaluation par téléphone. Si la situation est préoccupante, la personne peut être envoyée à l’hôpital de Boulogne-sur-Mer. Pour l’instant, personne n’a été testé ici, et il n’y a pas eu de suite quant aux personnes pour lesquelles nous avions des doutes. Ces quelques personnes ont été renvoyées là où elles dorment, c’est à dire à la jungle. »
Mardi soir, les associations étaient toujours sans nouvelles des autorités. Plus tôt dans la journée, certains bénévoles étaient empêchés de se rendre sur le campement en cours d’éviction, malgré leurs attestations de déplacement dérogatoire. Antoine Nehr indique que les associatifs réfléchissent dans l’urgence à comment adapter leur action. « Si l’Etat reste inactif, on ne peut pas rester chez nous à ne rien faire. »
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Afin de tenter d’enrayer la propagation du Covid-19, le confinement national a débuté ce mardi 17 mars à midi. Or, plus de 3.500 personnes se trouvent à la rue en Ile-de-France, sans accès à un hébergement. C’est pourquoi 24 associations, dont la Ligue des droits de l’homme, la Cimade ou Utopia 56, alertent sur un état d’urgence humaine aussi bien que sanitaire. Elles demandent notamment la réouverture de points d’eau plus nombreux et la réquisition de bâtiments vides. Car martèlent-elles, « en errance, les personnes participent à la propagation du virus ». (...)
Pour Julie Lavayssiere, coordinatrice de l’antenne Paris Utopia 56, il y a urgence. « Les grosses structure d’aide ferment à la chaîne, à l’instar de l’accueil de jour, qui permet de se reposer, de charger son téléphone, d’avoir accès à un suivi social et un suivi de ses droits. Conséquence ? Ils passent une grosse partie de leur journée à errer ». (...)
« Ils n’osent pas manger, faute de toilettes »
Le manque de toilettes et de point d’eau est une inquiétude majeure. « Il reste encore des bains douches, mais les personnes ne savent pas toujours où ils sont situés… Ils n’osent pas manger, parce qu’ils ne sont pas certains de trouver des toilettes. C’est ce qu’un père de famille a dit à ses enfants. Plusieurs femmes ont actuellement leurs règles, elles ne peuvent même pas se changer, se laver les mains. »
Combien de personnes sont concernées ? D’après les associations, quelques 3.500 individus sont aujourd’hui à la rue en Ile-de-France. A Aubervilliers (93), l’un des campements de la région, 500 personnes sont entassées dans des conditions insalubres et privées d’eau.
« Les personnes qui sont en campement et qui se déplacent représentent un danger pour elles-mêmes comme pour les autres », insiste Thomas Berteigne de la Ligue des droits de l’homme. Ce que corrobore Julie Lavayssiere « en errance, ces personnes vont propager le virus tout autour d’elles ». (...)