
Cadences infernales, stress, flicage, objectifs de vente insensés : les pratiques managériales dans les centres d’appels induisent mal-être, souffrances, voire maladies parmi les salariés. Des dizaines de téléopérateurs du monde entier sont venus échanger sur leurs conditions de travail lors d’un « colloque international des centres d’appels » organisé à Saint-Denis début avril. L’occasion de dresser le tableau d’un secteur qui sert de laboratoire à l’oppression managériale.
« SAV » (service après-vente), hotline, abonnements, fidélisation, offres promotionnelles en tout genre : la plupart des entreprises possèdent leur service de « relation client ». Qu’ils soient gérés en interne ou externalisés auprès des leaders du secteur (Teleperformance, b2s, Armatis, Sitel), les bureaux « en marguerite » des centres d’appels fleurissent aux quatre coins du monde. Tous secteurs confondus : banques, assurances, fournisseurs Internet, transports en commun, commerce… Avec 7 milliards d’euros de chiffres d’affaires, le secteur est en pleine expansion depuis une dizaine d’années. Mais à l’autre bout du fil, les salariés tirent la langue et la sonnette d’alarme. En proie à un management digne du début du XXe siècle.
Avec des horaires décalés, rémunéré au salaire minimum – dans les pays où un tel salaire existe –, le métier de téléopérateur attirait plutôt des étudiants. Le chômage aidant, le secteur devient peu à peu un pis-aller. Dans une Espagne en crise, nombre de femmes de 45 ans en reprise d’activité s’orientent, faute de mieux, vers les « call-centers ». Au Sénégal, c’est « la seule opportunité des 15 000 à 20 000 jeunes qui sortent du système scolaire », constate le sociologue Benoît Tine. (...)
En l’absence d’appels, l’ordinateur compose automatiquement le numéro d’un client placé en attente. De quoi rester assis sept à dix heures devant un écran avec seulement vingt minutes de pause-déjeuner. Idem pour les pauses-toilettes, contrôlées et chronométrées. En Suisse, celui qui veut aller aux toilettes doit poser sur son bureau une bouteille qu’il a prise sur la table du superviseur. S’il y a trop de pauses, la direction diminue le nombre de bouteilles. (...)
Le plateau téléphonique ressemble à un panoptique. Tout est surveillé à coups d’appels enregistrés et de « clients mystères » – des personnes payées par la société pour se faire passer pour un client. « On peut avoir des dizaines de logiciels espions qui peuvent même espionner le mouvement de la souris. Il suffit d’y mettre les moyens », a constaté l’inspecteur du travail Jacques Dechoz. (...)
Cette mise sous contrôle s’effectue au service d’objectifs de rentabilité. Les statistiques individuelles sont ainsi régulièrement vérifiées par un entretien personnalisé. Chez Orange, les objectifs commerciaux ont augmenté de 76 % entre février et mars pour faire face à l’arrivée de Free, indique une déléguée syndicale de SUD : « Il faut vendre à tout prix. » Andréa subit la même pression : « À chaque appel on doit faire un rebond commercial. ».
Ces objectifs de vente sont souvent inatteignables et contradictoires avec la limitation de durée d’appel. Deux à quatre minutes maximum par client. (...)
Pour faire face au stress et aux cadences, de nombreux téléopérateurs consomment des médicaments, de l’alcool et des psychotropes. (...)
Des cas de surdité ou de suivi psychiatrique apparaissent en Tunisie, où la présence des salariés en call-center peut aller jusqu’à 48 heures par semaine en prise d’appels. Patricia, pour sa part, est devenue « victime de la voix » et ne peut plus travailler au téléphone. Un des enjeux actuels pour les syndicats est de faire reconnaître ces maladies comme professionnelles. (...)
s’inviter à la table des négociations en tissant des solidarités internationales et en inventant des luttes collectives. « Téléopérateurs de tous pays, unissez-vous ! », ont conclu les participants au colloque. Le seul appel à mettre sur écoute.