
« J’étais complètement vidée, ma tête ne suivait plus mon corps. Je ne tenais plus debout. » Ce matin du 9 janvier 2020, Nicole Loison s’effondre dans l’hypermarché Géant Casino de Vals-près-le-Puy, en Haute-Loire. Brisée à la tâche. Après quarante et un ans à arpenter les rayons, cette mère de trois enfants est jugée inapte et licenciée quelques mois plus tard ; elle ne remettra plus les pieds dans le magasin dont elle a franchi la porte pour la première fois en 1979, l’année de son ouverture.
Les vingt premières années, Nicole Loison a notamment officié comme « hôtesse de caisse », jusqu’à ce que la médecine du travail lui suggère d’arrêter, à la fin des années 1990. « A force de remplir des sacs pendant sept heures d’affilée, je m’étais abîmée la coiffe du rotateur de l’épaule », se remémore l’ancienne salariée aujourd’hui âgée de 61 ans. Depuis, elle souffre de troubles musculo-squelettiques (TMS), une maladie professionnelle qui touche beaucoup plus de femmes que d’hommes, notamment dans les grandes surfaces, où les TMS représentent 98 % des maladies déclarées en 2019. Mais comme tant d’autres, « par méconnaissance peut-être », Nicole n’a pas fait reconnaître sa maladie professionnelle auprès de l’Assurance-maladie. (...)
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publié le 7 mars 2022
par disclose
« J’étais complètement vidée, ma tête ne suivait plus mon corps. Je ne tenais plus debout. » Ce matin du 9 janvier 2020, Nicole Loison s’effondre dans l’hypermarché Géant Casino de Vals-près-le-Puy, en Haute-Loire. Brisée à la tâche. Après quarante et un ans à arpenter les rayons, cette mère de trois enfants est jugée inapte et licenciée quelques mois plus tard ; elle ne remettra plus les pieds dans le magasin dont elle a franchi la porte pour la première fois en 1979, l’année de son ouverture.
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Les vingt premières années, Nicole Loison a notamment officié comme « hôtesse de caisse », jusqu’à ce que la médecine du travail lui suggère d’arrêter, à la fin des années 1990. « A force de remplir des sacs pendant sept heures d’affilée, je m’étais abîmée la coiffe du rotateur de l’épaule », se remémore l’ancienne salariée aujourd’hui âgée de 61 ans. Depuis, elle souffre de troubles musculo-squelettiques (TMS), une maladie professionnelle qui touche beaucoup plus de femmes que d’hommes, notamment dans les grandes surfaces, où les TMS représentent 98 % des maladies déclarées en 2019. Mais comme tant d’autres, « par méconnaissance peut-être », Nicole n’a pas fait reconnaître sa maladie professionnelle auprès de l’Assurance-maladie.
Après sa blessure à l’épaule, Nicole Loison est affectée à différents postes, avant d’atterrir au « coffre », fin 2019, où sa mission consiste à saisir des écritures comptables – depuis quelques années, les effectifs se sont réduits et le travail est devenu plus intense. Mais, à presque 60 ans, elle a du mal à se former. A l’épuisement physique, succède les brimades et le « harcèlement ». Ce n’est que quelques semaines plus tard que surviendra le malaise qui lui coûtera son emploi. Déclarée inapte à tout poste par la médecine du travail, elle ne peut être reclassée. Usée, avant même d’atteindre l’âge de la retraite.
Hécatombe
Dans son local de la CFDT du Puy-en-Velay, Anne-Marie Coat fait les comptes. Depuis 2018, la direction du magasin a licencié douze salariés au moins pour inaptitude : onze femmes et un homme. (...)
Selon des chiffres internes obtenus par Disclose, le taux de gravité des accidents du travail au Géant de Vals-près-le-Puy était de 7,9 % pour l’année 2020, plus de trois fois la moyenne du secteur des hypermarchés.
Cette hécatombe a été signalée à plusieurs reprises à la direction du groupe Casino, présidé par Jean-Charles Naouri. Au moins dès le mois de mai 2019, comme en atteste un procès-verbal du comité social et économique (CSE) de l’époque (...)
les alertes syndicales se multiplient par courriers ou par mails. A chaque fois, des dirigeants du groupe sont en copie, dont Tina Schuler, la directrice générale des magasins Casino. « La direction est toujours attentive aux informations remontées par les partenaires sociaux et les prend systématiquement en compte », assure le groupe dans une réponse écrite à Disclose. Mais les faits sont têtus.
Les « invisibles » du Puy-en-Velay devront en effet attendre une mise en demeure de l’inspection du travail, un an après les premières alertes, pour qu’une expertise sur les risques psychosociaux soit diligentée. Ses conclusions, transmises à la direction nationale en juin 2021, sont sans appel : « Les salariés travaillent régulièrement dans l’urgence et sous pression », ce qui provoquerait « une dégradation de [leur] santé ».
L’ensemble du groupe en souffrance
Comment a réagi la direction ? Elle a simplement muté le gérant mis en cause et l’a aussitôt remplacé par le directeur d’un autre Géant, celui d’Oyonnax. Un magasin qui à lui-même fait l’objet d’une expertise pour risque grave, en 2019. (...)
l’ensemble du groupe Casino est en souffrance : depuis trois ans, la maison mère, Rallye, est en procédure de sauvegarde et a enclenché plusieurs plans de cessions d’actifs. Dans les magasins, les effectifs fondent à vue d’œil. (...)
La crise est d’une telle ampleur qu’une expertise pour risque grave et risques psychosociaux a été lancée au niveau national, en décembre 2021, a appris Disclose. Cette procédure, votée à l’unanimité des organisations syndicales, est sans précédent dans l’histoire du groupe : elle vise l’ensemble des 400 supermarchés et hypermarchés Casino en France. Soit environ 24 000 salariés, dont 60 % sont des femmes. (...)