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« Ce n’est pas parce qu’on donne un CDI à une personne que tout est réglé » : quel bilan pour Territoires zéro chômeurs
Article mis en ligne le 31 mai 2019
dernière modification le 30 mai 2019

Pas facile de lutter autrement contre le chômage de longue durée. Dans la banlieue de Caen, à Colombelles, le projet Territoire zéro chômeurs lancé en 2016, que nous suivons depuis deux ans et demi, a vécu une première grosse crise de croissance : relations tendues entre salariés et avec la direction, violence, désillusion de certains porteurs de projets, manque de moyens pour bien accompagner les salariés... Malgré tout, l’association continue de lutter pour soutenir ses ex-chômeurs de longue durée, sur le chemin d’un nouvel emploi.

Les visages sont souriants, l’accueil chaleureux. Ce vendredi matin de la fin mars, Atipic, l’association qui porte le projet Territoires zéro chômeurs à Colombelles, en périphérie de Caen, ouvre ses portes. Devant des dizaines de visiteurs, les salariés présentent les activités proposées par cette « entreprise à but d’emploi », qui expérimente une autre façon de lutter contre le chômage. Les créations en bois de palettes recyclées de Didier, un des employés, suscitent l’admiration d’un habitant de la commune : « Bravo pour ce que vous arrivez à faire ! » La discussion s’engage. Au stand du maraîchage, des pommes de terre sont en vente : c’est la première production d’une activité débutée il y a un peu plus d’un an. A côté, Julie expose les différents travaux – rénovation de bâtiments, entretien d’espaces verts - réalisés par son équipe. (...)

Un nouveau souffle semble avoir gagné les salariés de l’expérimentation Territoires zéro chômeurs de Colombelles. Ces derniers mois, les difficultés se sont accumulées pour l’association qui a pris part à cette expérimentation nationale, au côté de neuf autres territoires (lire notre article précédent). En un peu plus d’un an et demi, 67 salariés ont été embauchés, en CDI, pour développer de nouvelles activités, utiles à la population et créatrices de lien social. Les emplois sont financés à 70% par l’État qui transfère symboliquement les aides qu’il aurait versées (aides Pôle emploi, RSA, allocation logement, etc.) à ces personnes sans-emploi si ces dernières n’avaient pas retrouvé du travail. Une belle idée initiée et soutenue par ATD Quart Monde, et autorisée par une loi d’expérimentation votée en décembre 2015. Mais le décollage d’Atipic a été tel que la structure a failli exploser en vol. (...)

En novembre 2018, une vingtaine de personnes se sont mises en grève. Les relations entre salariés et avec la direction sont alors parfois très tendues, voire violentes. « Je venais au travail la boule au ventre », explique l’une d’entre elles. Les locaux sont trop petits ; certains n’ont pas assez de travail pour s’occuper. « Les gens savent qu’on est une association mais pensent et réclament comme si nous étions une entreprise », souligne une autre employée. Des salariés sont déçus par les promesses qui leur ont été faites. Les projet qu’ils avaient imaginés, pour lesquels ils étaient parfois quasiment devenus des entrepreneurs, ne se concrétisent pas toujours. (...)

De l’avis de tous, l’accompagnement nécessaire à chaque nouvel employé a été sous-estimé. « Nous n’avons pas été capable d’apporter à certains le cadre de travail sécurisant et suffisant dont ces personnes, parfois fragilisées par la vie, avaient besoin », analyse Annie Berger, la présidente d’Atipic. (...)

Au cours de sa première année, l’association a embauché plus d’une personne par semaine, et lancé une quinzaine d’activités différentes. Les objectifs nationaux sont élevés. Et il faut aller vite, très vite, pour démontrer que l’expérimentation fonctionne et espérer ensuite l’élargir à cinquante nouveaux territoires. La loi d’expérimentation votée en 2015 a donné cinq ans pour tester cette nouvelle façon de lutter contre le chômage. « Cinq ans, c’est très peu pour parvenir à développer une activité », souligne Patrick Valentin, l’un des initiateurs du projet au niveau national. « Tous les territoires ont vécu ces difficultés de croissance. La plupart ont surmonté le problème. A Colombelles, c’est la qualité de la gestion de l’entreprise qui a manqué. »
« Nous avons embauché trop vite »

« Ce n’est pas parce qu’on donne un CDI à une personne que tout est réglé », avance Annie Berger. « Nous avons embauché trop vite, sans avoir prévu d’encadrement intermédiaire. » Mais comment financer des cadres quand le budget de départ est déjà très restreint ? (...)

Publiée en novembre 2018, la première évaluation nationale de l’expérimentation, principalement quantitative, a démontré que « l’embauche d’un salarié […] a rapporté plus de 18 000 euros aux finances publiques ». Soit quasiment le montant investi par l’État et les conseils généraux pour chaque salarié employé dans une des « entreprises à but d’emploi ». En effet, quand une personne retrouve un travail, des économies sont réalisées sur les prestations sociales, les aides aux logements, les aides au retour à l’emploi... Mais des recettes sont aussi générées à l’instar des impôts payés par les structures, des cotisations salariales, patronales et obligatoires, du gain en TVA lié à la croissance de la consommation des salariés.

Bénéfique pour l’économie locale (...)

Un nouveau pôle recyclage

A Colombelles, le directeur a quitté l’entreprise en février. Des salariés ont été avertis ou mis à pied. « Le conflit n’est positif que si l’on se respecte », soutient la présidente qui a travaillé à l’élaboration de pôles de fonctionnement, « qui peuvent être autogérés ». De nouveaux locaux ont été trouvés, plus spacieux. (...)

A Colombelles, ce n’est pas simplement le succès local de l’expérimentation qui se joue, mais aussi en partie son avenir au niveau national. Leïla : « On essaie de faire de notre mieux pour tous les autres qui viendront ensuite. La réussite de Territoires zéro chômeurs pèse sur nos épaules. » Sur les dix premiers territoires, 2000 salariés devraient être embauchés en cinq ans d’expérimentation.