
Dans ses propos, j’en retiens un en particulier : quand elle a dit qu’elle parlait en tant qu’enfant et femme. Cet entre-deux, entre enfance et adolescence, nous pose un problème.
On ne va pas faire semblant de parler d’autre chose que de l’interview d’Adèle Haenel sur Mediapart. Je voudrais en parler toute ma vie. C’était remarquable à tout point de vue. Parce qu’elle alliait la puissance du témoignage, la lucidité de sa position et la synthèse d’analyse, c’était comme si ce qu’on répète depuis des années était résumé, condensé, porté, incarné, illuminé. (...)
Dans ses propos, j’en retiens un en particulier. Quand elle a dit qu’elle parlait en tant qu’enfant et femme, qu’elle était à l’intersectionnalité des deux. Ça m’avait déjà frappée au moment de MeToo, le nombre de témoignages d’agressions sexuelles ou de viols qui s’étaient produits alors que la victime était une très jeune fille –comme Adèle Haenel, entre 12 et 15 ans. On classe ces cas alternativement dans la catégorie des agressions sur enfant et des agressions contre les femmes. (D’ailleurs, c’est l’occasion de rappeler que la marche du 23 novembre prochain est contre les violences sexistes et sexuelles, incluant évidemment les violences contre les enfants.) (...)
Cet entre-deux, entre enfance et adolescence, nous pose un problème. S’agit-il de pédocriminalité ou pas ? Même au sein de la communauté des psychiatres, les désaccords sont nombreux. (...)
Cet âge nous paraît tellement flou que les délinquants sexuels s’en servent pour se dédouaner. (...)
Les accusés dans ce genre d’affaires ont des lignes de défense à peu près identiques. D’abord, c’est comme si, selon eux, on pouvait mesurer la maturité sexuelle d’une fille à la taille de ses seins. (...)
Sérieusement ? La vérité, ce ne serait pas plutôt qu’ils n’ont jamais cherché à savoir ce qu’elles pensaient ? Ce dont elles avaient envie ? Elles ne sont que des surfaces sur lesquelles ils projettent leurs fantasmes. Pour eux, elles sont des corps à disposition. Elles ne sont pas des individus, mais des tentations.
Ensuite, ils plaident quasiment toujours qu’ils ont été attirés par la fille malgré son jeune âge. Et si la vérité était qu’elle leur plaisait à cause de son jeune âge ? C’est là où le concept d’hébéphilie peut être utile : ils n’ont pas été excités en dépit de l’extrême jeunesse de leur proie mais en raison de cela, c’est précisément ce corps entre enfance et puberté qui les a attirés.
Enfin, ils admettent qu’ils se sont sans doute trompés sur le degré de maturité de leur victime. Il s’agirait donc d’une simple erreur d’appréciation. Et si c’était justement un avantage ? Les filles de 12 ans sont des proies extrêmement vulnérables. (...)
Et nous, en tant que société, nous ne sommes pas clairs par rapport à elles. On ne s’est jamais vraiment intéressé aux filles de 12 ans. L’absence de leur parole, c’est aussi ce qui laisse la possibilité à certains adultes de plaider l’ignorance. Les filles de 12 ans ne sont pas des bébés. Ni des femmes. Ce sont des filles de 12 ans avec leur complexité, leurs ambivalences, et nous, en tant qu’adultes, nous devrions collectivement les protéger, leur laisser le droit de se chercher, de ne pas savoir elles-mêmes quelle est leur maturité. (...)
Nous devrions laisser à ces filles la possibilité de mûrir tranquillement, de se découvrir, sans qu’elles aient à affronter aussi frontalement et souvent brutalement le désir des hommes adultes.
Et tout cela s’applique bien sûr également aux garçons de 12 ans.