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Terrains de lutte
Ce que le procès contre France 2 a révélé La Villeneuve déboutée, « Envoyé spécial » démasqué.
Article mis en ligne le 24 juillet 2014

Le tribunal de Grenoble a débouté, le 26 juin dernier, l’association d’habitants du quartier de La Villeneuve qui avait déposé plainte pour diffamation contre France 2 après la diffusion du reportage « La Villeneuve : le rêve brisé » dans l’émission Envoyé spécial, en septembre 2013 (lire la présentation du reportage et de la mobilisation). Malgré la déception, le procès a toutefois rempli deux objectifs majeurs : médiatiser le point de vue de ces habitants mobilisés depuis 8 mois pour obtenir un droit de réponse, et mettre à jour le fonctionnement de l’univers journalistique qui a conduit à la production de ce reportage « stigmatisant », selon les propres termes du CSA.

(...) Frustration judiciaire, revanche médiatique

Cette décision de justice, les habitants s’y étaient préparés mais elle reste néanmoins difficile à encaisser d’autant que son annonce a été vite expédiée : « ça a duré 28 secondes » se désole Alain Manac’h, l’un des principaux animateurs de la mobilisation, venu écouter le jugement. L’expérience de l’arène judiciaire s’est avérée décidément rude pour la mobilisation.

D’abord parce que, le 15 mai dernier, sur les quelques 200 habitants venus entendre leur avocat plaider leur cause, seulement une quarantaine ont pu entrer dans la petite salle d’audience où se déroulaient les débats. « C’est quand même du mépris, ça devrait être la transparence, la justice devrait se rendre devant nous car c’est la justice de la république ! », peste une habitante retraitée, restée debout devant la porte. Ceux qui ont pu entrer dans la salle d’audience constatent, eux, que les deux présentatrices Ghislaine Chenu et Françoise Joly à qui ils réclament un droit de réponse depuis huit mois, ne se sont toujours pas déplacées. La journaliste Amandine Chambelland est également absente. (...)

Même sur le service public, on n’ose plus espérer que le temps et les moyens accordés à ces productions standardisées soient consacrés à des enquêtes qui analyseraient plutôt la transformation locale du marché de l’emploi et les conditions d’existence des habitants dans toutes leurs dimensions. Pour cela, il faudrait d’abord rompre avec les logiques de productivité et de sous-traitance qui prévalent dans les programmes de France Télévisions. Pour l’heure, le collectif des habitants de La Villeneuve entend tirer ses propres enseignements de cette mésaventure médiatique et judiciaire en organisant des débats en octobre prochain, un an après la diffusion du reportage. Déboutée de sa plainte collective en diffamation par la justice face à une chaîne du service public qui s’apprêtait à se retourner contre une société de production… désormais représentée par un liquidateur judiciaire (!), la mobilisation devrait relancer une réflexion sur les moyens efficaces de contester les discours des médias dominants, en croisant les retours d’expériences d’autres quartiers populaires ayant eu à subir le même traumatisme.
plutôt que de concéder un manque de nuance dans le tableau apocalyptique dressé sur le quartier, le défenseur de la chaîne n’hésite pas à invoquer le droit à l’information pour justifier une production d’Envoyé spécial que même le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a critiqué pour son manque de respect des principes déontologiques : « on vous demande de dire en 2014 comment on doit faire un reportage, mais il y a des règles à respecter sur la liberté de la presse en France. Si on s’en écarte, la société en pâtira », assène-t-il. Il va même jusqu’à inverser le préjudice subi en matière de stigmatisation, en regrettant qu’on ne puisse « aller dans un quartier pour filmer des actes de violences sans se faire stigmatiser devant un tribunal correctionnel ! ». Il dénonce enfin que l’association utilise le « prétoire correctionnel » pour assouvir « le désir de s’exprimer sur un reportage ». A ce titre, il conclut sa plaidoirie en demandant non seulement que l’association soit « déboutée de ses demandes », mais qu’elle soit également condamnée à payer la somme de 5000 euros pour procédure abusive. Une demande que le tribunal ne satisfera heureusement pas.

Si les habitants n’ont pas réussi à faire rectifier, par voie de justice, l’image qui a été diffusée sur la Villeneuve par France 2, ils ont gagné en revanche la 2ème manche médiatique. La mobilisation qui a émergé après la diffusion du reportage en septembre de 2013 et la longue marche vers le procès ont permis de fédérer des centaines de riverains, et de faire lire et entendre dans la presse imprimée, web et audiovisuelle leur point de vue sur le reportage de France 2 et plus largement sur la vie à La Villeneuve. De nombreux journalistes étaient d’ailleurs présents à l’audience du 15 mai, et lui ont accordé un compte rendu : l’AFP, Télérama, Le Monde, Libération, Politis, La Vie, Le Dauphiné Libéré, Télégrenoble,… Même France 3 Isère qui appartient, comme France 2, au groupe France Télévisions s’est fait l’écho du procès.

Mais ce n’est pas tout, le procès a également apporté des réponses aux questions que se posaient les habitants mobilisés sur les logiques médiatiques qui conduisent à la fabrication de discours journalistiques si réducteurs sur leur quotidien. Il a notamment permis de porter à la connaissance des juges et de la partie civile le contrat de production qui liait France 2 et la société de production Ligne de Mire qui a confectionné le reportage. Les termes de cette relation intriguaient depuis longtemps à La Villeneuve. Le contrat évoqué à l’audience révèle ainsi combien le contenu du reportage était pré-établi avant le début de l’enquête de terrain et combien la société de production était soumise aux exigences de la chaîne. (...)