
En apparence, que rêver de mieux qu’un « Central Park » en plein 93 comme imaginé par l’architecte Roland Castro et le promoteur immobilier CDU ? Le parc de la Courneuve Georges-Valbon transformé en Central Park, la Seine-Saint-Denis en un Manhattan au cœur du Grand Paris ! Ce projet repris par Manuel Valls le 14 avril dernier ne doit pourtant pas faire illusion. Qui dit Central Park dit également les immeubles de l’Upper West Side et East Side qui le jouxtent, peuplés des familles les plus riches de New-York. Bien loin des quartiers populaires entourant le parc, de la cité Floréal à Saint-Denis à celle des 4000 de la Courneuve. Surtout, il ne s’agit pas ici de construire 24 000 logements à l’extérieur du parc mais à l’intérieur. C’est une ville de 90 000 habitant-e-s qui entre dans le parc. Même repeint en vert ce projet ne peut en réalité que consister à amputer le poumon du 93.
Mais au-delà de sa dimension anti-écologique, le projet Castro fait écho aux « politiques de peuplement » promues par Valls. La mixité par petites touches ayant échoué selon le gouvernement, il faut tenter de grosses greffes. Le terrain est fertile, il serait possible d’y attirer de « nouvelles populations » aisées venues des sièges sociaux de la Plaine Saint-Denis, du futur complexe d’affaires et de loisirs, Europacity dans le triangle de Gonesse, du premier aéroport d’affaires d’Europe, le Bourget ou carrément, comme le préconise Castro, « donner aux Parisiens des raisons de franchir le périphérique » pour « attirer dans ce lieu des gens qui auraient les moyens d’y habiter, mais qui n’auraient pas l’idée d’y venir »[1].
Cette approche défend l’idée que ce qui manque aux classes populaires ce sont des ménages aisés qui vivraient à côté d’eux. Pourtant, de nombreux travaux de sciences sociales ont maintenant bien établi qu’on peut vivre côte à côte sans se mélanger, échanger, partager. D’ailleurs, le projet ne prévoit pas autre chose puisque tout est prévu pour en faire une ville « autonome » : commerces, hôtels, restaurants, conciergerie, etc. Certes, on promet d’améliorer l’accès au parc, mais en réalité l’implantation d’une ceinture d’immeubles sur ses « marges » n’annoncerait pas autre chose que sa privatisation.
Moins que des ménages aisés, qui de toutes manières ne rempliront pas leur frigo, les habitants des quartiers populaires ont surtout besoin des mêmes services publics qu’ailleurs, de plus d’enseignants dans les écoles, de personnels de santé dans les hôpitaux, etc. Ces dernières semaines, la très forte mobilisation des parents d’élèves et des enseignants de la cité Floréal qui borde le parc ou encore la grève d’une partie des personnels de l’hôpital Delafontaine, dans le même quartier, en sont une illustration, moins audibles et visibles que Castro. Ce qu’ils exigent, c’est une vraie politique d’égalité et de justice sociale. (...)