
En avril 2015, le conseil de Paris annonçait la fermeture du centre de Pontourny, situé à Beaumont-en-Véron, dans le sud de l’Indre-et-Loire. L’établissement accueillait alors une quarantaine de mineurs étrangers isolés. Le site est depuis devenu un « centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté », qui accueillera des jeunes majeurs dans le cadre de la politique de « déradicalisation » lancée par le gouvernement. Entretien avec un éducateur.
(...) Pour justifier la fermeture du centre, l’administration a invoqué notre éloignement de Paris, qui rendait le travail avec les familles plus difficile. C’était une véritable aberration, puisque nous n’avions aucun travail avec les familles : les familles des jeunes que nous accueillions étaient soit restées au pays, soit décédées.
Ce qui est frappant, c’est que l’annonce de la fermeture est tombée alors qu’on commençait à parler de crise des réfugiés en Europe.
Tout à fait. D’autant qu’au moment de l’annonce, notre établissement tournait à plein régime. Il y avait une très forte demande pour l’accueil de mineurs étrangers isolés sur Paris. Cette forte demande existe d’ailleurs toujours. Le centre était plein, et on était souvent obligés de refuser des admissions. On accueillait 38 jeunes sur le site, et on avait un service de suite pour des jeunes qui avaient quitté l’internat mais qui bénéficiaient toujours d’un accompagnement. (...)
Ces fermetures s’inscrivaient dans un contexte plus large. La prise en charge des mineurs étrangers isolés a longtemps été dévolue à l’administration parisienne, dans la mesure où ces jeunes arrivent souvent dans les aéroports internationaux, situés pour la plupart en région parisienne. Or, la mairie de Paris invoquait qu’il s’agissait d’un phénomène national, qui ne pouvait être pris en charge exclusivement par Paris et la Seine-Saint-Denis. Après un certain nombre de tractations, la circulaire dite « Taubira » a organisé la répartition des mineurs étrangers isolés sur l’ensemble des départements métropolitains.
Cette circulaire n’a jamais été réellement appliquée, et Paris continue à accueillir l’essentiel des mineurs étrangers isolés, mais l’administration a invoqué ce texte pour justifier la « restructuration » de ses services : puisque Paris avait vocation à accueillir de moins en moins de ces jeunes, les établissements spécialisés n’avaient plus de raison d’être. Aujourd’hui, il n’existe plus de dispositifs spécifiques, et énormément de ces jeunes étrangers isolés sont accueillis dans des hôtels, avec une prise en charge éducative réduite au minimum : on se contente de leur verser une allocation et de leur faire rencontrer à l’occasion un référent de l’ASE. Nos anciens collègues parisiens sont aujourd’hui démunis pour faire face à la demande. Ils accompagnent plus de 100 jeunes, mais peut-on parler d’accompagnement dans de telles conditions ?!
Ce qui s’est passé avec la fermeture du CEFP de Pontourny est proprement scandaleux (...)
Quand avez-vous appris qu’une solution avait été trouvée, avec la création d’un « centre de déradicalisation » ?
Cela fait plusieurs mois déjà que la reprise du site par un groupement d’intérêt public (GIP) a été annoncée. L’administration a proposé aux salariés du centre de rejoindre ce projet. (...)
Qui va piloter ce groupement d’intérêt public qui reprend le site ?
Plusieurs ministères sont impliqués. Pour l’instant, nous menons des tractations pour définir nos conditions de travail, ainsi que le statut auquel nous serons rattachés. C’est notre hiérarchie qui nous a annoncé la reprise du site, et que des échanges étaient en cours pour que les agents de Pontourny puissent bénéficier d’une priorité à l’embauche au sein de ce GIP pour le « centre de prévention insertion et citoyenneté ».
Au départ, il a été question d’un « centre de déradicalisation », qui est une appellation polémique. Aujourd’hui, il est question d’un « centre de prévention, d’insertion et de citoyenneté », ou de prévention de la radicalisation. Les élus locaux qui se sont mobilisés autour de Pontourny ont insisté pour qu’on n’y accueille pas d’individus ayant fait l’objet d’une condamnation pour des faits liés à la radicalisation. (...)
Il s’agira de jeunes majeurs volontaires. En tous cas, il ne s’agira pas d’individus revenant de Syrie et qui seraient sous le coup d’une mesure judiciaire pour faits en lien avec la radicalisation. Les jeunes qui vont arriver à Beaumont-en-Véron ne savent pas ce qu’ils vont y trouver. On fait le pari d’une rencontre. Ils sont engagés dans un processus mortifère ; nous, notre pari, c’est de faire en sorte qu’ils rencontrent une autre structure, d’autres personnes qui pourront peut-être les orienter, les engager dans une autre voie. Tout est à construire, mais en tant qu’éducateur, je n’ai pas le sentiment que cela soit très différent des missions que l’on peut mener auprès d’autres jeunes en manque de repères. (...)