
1000 personnes vivent dans la rue à Bordeaux selon la mairie. En 2020, avec les confinements successifs et la crise sanitaire, les conditions de vie se sont cruellement durcies pour les sans-abris, parmi lesquels de plus en plus de jeunes. Rue89 Bordeaux a suivi des associations qui assurent la collecte de produits alimentaires et la distribution de repas, ou encore le nécessaire lien social. Reportage.
(...) Une vague d’étudiants et de travailleurs saisonniers durement touchés par deux confinements successifs vient désormais grossir les rangs des bénéficiaires accompagnés par des associations et maraudes venant en aide aux SDF et foyers défavorisés.
Avec la fin des regroupements, la mort du lien
Président de l’association La Piraterie, qui héberge des femmes en situation de précarité et leurs enfants pour une durée indéterminée au sein d’une grande demeure mise à disposition par Bordeaux Métropole, Rachid a pris l’habitude d’écumer les épiceries et magasins partenaires quotidiennement pour récupérer les fruits et légumes frais invendus.
Mais si son équipe de bénévoles et lui-même avaient ensuite l’habitude d’en faire profiter leurs bénéficiaires réguliers autour d’un déjeuner baptisé La Tablée, il a fallu composer avec le confinement et l’interdiction de se regrouper :
« Avant, le but était de créer du lien social tout en restant fidèle à notre mission initiale d’anti-gaspillage alimentaire. Avec le confinement, on a dû transformer La Tablée en maraude mais il y en a de plus en plus à Bordeaux donc on a choisi de se concentrer sur l’aide alimentaire aux squats et aux assos. »
Reconnue d’intérêt général depuis le mois d’août, La Piraterie redistribue chaque année aux associations du coin plusieurs tonnes de denrées collectées auprès des supermarchés partenaires. Ce jeudi-là, Rachid peut compter sur un voisin bénévole, Grégoire, qui conduira son fourgon pour la matinée de collecte. (...)
Présidente de l’ADEC, Fatima raconte comment, covid oblige, elle et ses bénévoles vont devoir réinventer le réveillon de la solidarité :
« Puisqu’on ne peut pas se réunir dans une salle comme on fait habituellement, on va procéder à la distribution de colis alimentaires directement chez les gens, en allant frapper à leur porte ou en allant à la rencontre des personnes dans la rue. » (...)
Réinventer la solidarité
Réinventer la solidarité, tel est aussi le crédo du mouvement citoyen national #PourEux, propulsé par les réseaux sociaux lors du premier confinement. Dans plusieurs villes de l’Hexagone, des anonymes s’organisent ainsi pour venir en aide aux plus démunis de leur quartier et alentours, en leur livrant chaque midi des repas chauds cuisinés par des restaurants partenaires ou des particuliers solidaires, à trottinette ou à vélo. (...)
Si cette année fut particulièrement rude pour les trois comparses de rue, Nathalie salue la gentillesse et l’esprit de solidarité dont ont globalement fait preuve les Bordelais durant la crise :
« C’est sûr qu’il y avait beaucoup moins de monde dans les rues et qu’on s’est senti très seuls pendant les confinements, surtout le premier, mais j’ai trouvé les gens plus avenants, beaucoup venaient aussi prendre de nos nouvelles. »
Une attention qui les aide quotidiennement à tenir en cette période éprouvante. Laetitia acquiesce. Engagée depuis le printemps dernier, elle ressent le besoin de contact et d’échange plus impérieux encore que lors du premier isolement imposé (...)
Cette nécessité de contact, Estelle aussi la relève jour après jour. Réinsérée depuis une dizaine d’années après en avoir passé sept dans la rue, la Présidente de l’association La Maraude du Cœur, à l’origine des aires d’accueil solidaires montées il y a un mois et demi, alerte :
« L’autre troisième vague, elle est là et elle est psy. Vous voyez comment le reste des citoyens vit confiné ? Alors imaginez quand vous êtes précaire et à la rue. On fait ce qu’on peut avec les maraudes mais on n’est pas psy : on a peur de dire un mot maladroit, de mal formuler un conseil, de ne pas savoir quoi répondre à la détresse… Mais on bosse actuellement à développer des maraudes avec un psychologue pour leur apporter l’écoute et le soutien dont ils ont tellement besoin. » (...)
Pour être passée par là, Estelle, elle, reste joignable quasi nuit et jour. C’est d’ailleurs pour pallier le manque d’accompagnement les week-ends qu’elle a créé La Maraude du Cœur il y a trois ans. Bouteilles d’eau, vêtements, croquettes pour les chiens, lampes torches, dentifrice… elle note scrupuleusement ce dont chacun a besoin pour le lui apporter le lendemain. (...)