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Jean-Marie Harribey pour Alternatives Économiques
“Cette obscure clarté qui tombe des étoiles”. Difficile d’y voir clair après la défaite de la Grèce qui est aussi la nôtre
Article mis en ligne le 5 septembre 2015
dernière modification le 30 août 2015

Le récent texte de Jacques Sapir « Réflexions sur la Grèce et l’Europe » (21 août 2015), appelant à un rapprochement avec le Front national en vue de gagner la bataille pour sortir de l’euro, a surpris beaucoup de monde et déclenché une avalanche d’indignations justifiées mais bien tardives. Tardives et donc assez peu crédibles car elles se dispensent de faire la genèse et de suivre la progression de cette dérive, commencée il y a plusieurs années, principalement au moment du déclenchement de ladite crise de l’euro et du bruit médiatique autour de la « démondialisation ». Pris au piège de cette dérive, Frédéric Lordon se démarque vivement de son collègue en démondialisation dans un texte intitulé « Clarté » (26 août 2015). Je ne suis convaincu ni par l’un ni par l’autre.

On tombe toujours du côté où l’on penche

Le coup d’État financier perpétré contre la Grèce cet été oblige à un réexamen des questions stratégiques pour mettre un terme aux politiques néolibérales et ouvrir une voie à une transition démocratique, sociale et écologique. Je l’ai écrit ici ces dernières semaines et je le pense toujours. Sans doute, et je m’inclus dans ce constat critique, avons-nous été naïfs au point de sous-estimer la violence de classe dont pouvaient faire preuve les dominants, qu’ils soient capitalistes, financiers, ou gouvernants, sans oublier leurs porte-parole médiatiques. En l’absence de mouvement sociaux dans les pays un peu moins touchés par la crise (comme la France) les pays du Sud, surtout s’ils sont petits comme la Grèce, vont au massacre s’ils croient convaincre par la raison l’armée néolibérale en face d’eux.

Le gouvernement d’Alexis Tsipras s’est bercé d’illusions pendant six mois et n’a préparé aucune voie alternative pour inverser le rapport de force. Yanis Varoufakis, qui affirme avoir préparé un plan dès le printemps, est lui-même peu crédible car cela est démenti par toutes les informations fiables qu’on peut recueillir en Grèce. Et penser, au mieux, à faire autre chose le 1er juillet, à quelques jours de passer sous la guillotine, était trop tardif.

Mais cette irresponsabilité ne doit pas occulter notre éventuelle responsabilité, à notre échelle. Et c’est là que je reviens vers Jacques Sapir, avec qui j’ai eu, au cours de l’année 2011-2012, une controverse sévère. J’avais présenté des objections à son plan de sortie de la France de la zone euro et sa réaction avait été d’une violence inouïe, maniant l’insulte et l’argument alternativement. J’ai relu les textes de cette période, afin de voir si les risques mis en évidence à l’époque se sont avérés ou si je m’étais égaré. (...)

J’en concluais que la rupture avec les politiques menées au sein de l’Union européenne et de l’Union économique et monétaire devait d’abord passer par la dénonciation de la dette publique, l’arrêt de son paiement, les réformes radicales des banques et de la fiscalité. La sortie de l’euro ne pouvant être un objectif en soi, préalable, mais une possibilité en fonction de l’âpreté du rapport de force. « Il faut tuer les serial killers », écrivais-je (3 décembre 2010).

C’est effectivement le scénario qui a manqué à la Grèce depuis le 25 janvier 2015 : rien pendant six mois sur la suspension du paiement de la dette, la Banque de Grèce restant aux mains du même gouverneur libéral Yannis Stournaras, rien sur le contrôle des capitaux avant que ce soit la Banque centrale européenne qui l’impose, elle la gardienne de la liberté de circulation des capitaux !

Jacques Sapir, sans boussole sur la nature de la crise du capitalisme mondial, fait comme si on pouvait créditer les forces souverainistes de droite de la capacité de proposer et de mettre en œuvre des politiques alternatives à celles que le capitalisme mène tambour et canon financier battants. Tout cela, non pas parce qu’il croit un instant à cette possibilité (du moins je l’espère), mais parce qu’il fait de l’euro l’unique cause de tous les malheurs européens. (...)

Nos étoiles en démondialisation ont pâli. Et s’il faut faire amende honorable au sujet de l’Union européenne, faisons-le en mettant tout sur la table. Pour la « renverser », justement. Cet objectif est le bon, et, là, Frédéric Lordon avait raison. Il faut trouver les moyens et le chemin. Deux sont fermés : le chemin du social-libéralisme et celui, très pentu, vers l’extrême droite.