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Champion, le lobby bancaire, pour torpiller la taxe sur les transactions financières
Article mis en ligne le 27 janvier 2016

Les quatre années d’âpres discussions sur une taxe européenne sur la spéculation financière illustrent la puissance du lobby bancaire. À Bruxelles, à Londres, mais aussi à Paris. Et la taxe, indispensable, reste dans les limbes.

La taxe sur les transactions financières, la TTF, verra-t-elle le jour en Europe ? Ce prélèvement minime, par lequel l’économiste états-unien James Tobin voulait introduire un « grain de sable » dans les rouages trop bien huilés de la spéculation financière, ne relève plus de l’utopie. La crise de 2008-2009 avait donné une nouvelle vigueur à cette idée, qui était alors passée des cercles militants altermondialistes à l’ordre du jour du G20 Finances à St Andrews, en Ecosse, en novembre 2009. Les chefs d’État et de gouvernement s’en étaient ensuite emparés au G20 de Cannes en novembre 2011. Et depuis quatre ans, la TTF fait l’objet d’âpres discussions en Europe, où onze pays s’efforcent aujourd’hui de la mettre en place. (...)

Mais les banques ne l’entendent pas ainsi ! À la City de Londres, à Bruxelles, Paris et Berlin, le projet « Robin des Bois » (comme l’appellent ses partisans anglo-saxons) mobilise l’ensemble de la finance européenne contre lui. Dotée d’un fort potentiel symbolique et (au départ) du soutien politique de la France et de l’Allemagne, la TTF illustre, par son histoire mouvementée, la puissance du lobby financier et surtout sa proximité étroite avec les décideurs politiques. Retour sur une bataille exemplaire.
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À Bruxelles, la confédération patronale européenne BusinessEurope et les représentants du secteur financier, comme l’European Banking Federation, l’Association for Financial Markets in Europe (AFME), l’International Swaps and Derivatives Association (Isda)… multiplient les études d’impact alarmistes. Ils assurent qu’une taxe sur les transactions financières ne devrait être mise en place qu’à l’échelle mondiale, sous peine sinon de provoquer une fuite des capitaux, une crise de liquidité, l’érosion de l’épargne, des délocalisations, la stagnation économique et le chômage dans les pays qui se risqueraient à la mettre en œuvre. « Outre qu’il provoquerait une baisse de la croissance et de l’emploi, le coût de la TTF pèserait en fin de compte sur des millions d’épargnants », résume Markus Beyrer, directeur de BusinessEurope.

Ces arguments portent. D’autant plus que « le secteur financier dispose d’au moins 1.700 représentants dans la capitale européenne, rappelle Kenneth Haar, spécialiste du lobby financier au sein de l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), à Bruxelles. Ces lobbyistes ont accès aux fonctionnaires clés de la Commission européenne ; ils les rencontrent tous les jours, comme en atteste le registre officiel de l’institution. » (...)

La France est devenue sous Hollande un facteur de blocage

Dans l’Hexagone, la « consanguinité bien connue des élites administratives et politiques avec les élites financières » amène à une « capture » des décideurs publics, les uns et les autres étant généralement issus de l’ENA et de l’Inspection générale des finances, expliquent Christian Chavagneux et Thierry Philipponnat dans leur essai sur le lobbying financier [4]. Cela fonctionne aussi à coups d’échanges de bons procédés : « Les banques ont accepté d’entrer au capital de la société Euronext [la principale Bourse de la zone euro, dont Bercy souhaitait ainsi stabiliser l’actionnariat]. En contrepartie, elles ont obtenu un alignement de Bercy sur leurs positions en ce qui concerne la TTF », analyse Alexandre Naulot, d’Oxfam. (...)

le diable est dans les détails. Sous Pierre Moscovici puis sous Michel Sapin, le ministère des Finances plaide ainsi pour une TTF limitée aux seules actions, exonérant la quasi-totalité des produits dérivés, pourtant très spéculatifs. Une taxe ainsi revue et corrigée par Bercy ne permettrait à la fin de lever que 600 à 800 millions d’euros par an à l’échelle de la France, au lieu des 5 à 6 milliards escomptés.

En janvier 2015, nouvel élan : sous la pression de l’aile gauche du PS, François Hollande se déclare favorable à une taxe à taux faible et assiette large, « sur tous les produits de la finance », y compris les produits dérivés. Est-ce une victoire de la volonté politique sur le lobby bancaire ? Pas sûr : ce dernier reprend vite du poil de la bête, les négociations étant confiées aux onze ministères des Finances concernés, sensibles à leurs arguments. Les discussions en cours à Bruxelles sont opaques. Elles laissent toutefois filtrer des options peu engageantes (...)