
Mercredi 30 octobre, le Chili a renoncé à organiser la conférence mondiale sur le climat (COP25) qui devait se tenir du 2 au 13 décembre à Santiago. Le gouvernement explique sa décision par le mouvement de contestation sociale inédit dans lequel le pays est plongé depuis deux semaines.
(...) De son palais présidentiel, La Moneda, il a invoqué trois raisons à cette décision : « En tant que gouvernement, notre priorité est de : premièrement, nous concentrer sur le rétablissement de l’ordre public, la sécurité de nos concitoyens et la paix sociale ; deuxièmement, impulser un nouvel agenda social ; troisièmement, mettre en place un profond processus de dialogue pour écouter nos compatriotes. »
Le pays andin n’accueillera pas non plus les 16 et 17 novembre le sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (Apec), qui réunit 21 pays bordant l’océan Pacifique et qui, selon les mots du président chilien, est « l’organisation qui cherche le libre-échange le plus grand et le plus important du monde (…) pour générer de meilleurs emplois et de meilleures occasions favorables aux entreprises ».
« Une décision unilatérale du gouvernement »
De leur côté, les 130 associations réunies dans une coalition nommée Scac (Société civile pour l’action climatique) refusent cette annulation en dénonçant dans un communiqué, « une décision unilatérale du gouvernement » et en s’engageant à « maintenir les efforts déployés pour réaliser le Sommet social pour l’action climatique, une instance citoyenne parallèle à la COP25, peu importe le pays où elle se déroulera ». (...)
Pendant la dictature, avec l’aide des États-Unis et des Chicago Boys, le Chili a mis en place une politique néolibérale qui a permis un développement économique mais a surtout engendré de très fortes inégalités. C’est contre ce système qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres que la classe moyenne chilienne se soulève depuis plus de dix jours.
La semaine dernière, Sebastian Piñera a tenté de calmer la contestation : « Je reconnais que les problèmes se sont accumulés depuis des décennies et que les gouvernements successifs n’ont pas su y répondre. Je reconnais ce manque de vision et je demande pardon à mes compatriotes. » Puis, il a annoncé trois mesures phares : une augmentation des pensions de retraite, un déploiement d’une aide pour les petits salaires et la création d’un système de régulation du prix de l’électricité. Était-ce suffisant ? Visiblement pas. Des milliers de Chiliens ont continué à descendre dans les rues pour atteindre le point d’orgue de la mobilisation vendredi 25 octobre : plus d’un million de personnes ont envahi les avenues principales de Santiago en exigeant la mise en place d’une assemblée citoyenne constituante. Le changement de Constitution est la colonne vertébrale du mouvement social au Chili. Pourquoi ? Parce que la Constitution actuelle est la même que sous la dictature de Pinochet et qu’elle constitue un héritage direct du système néolibéral contre lequel les Chiliens sont désormais en lutte. (...)
lundi 28 et mardi 29 octobre, des rassemblements massifs ont été organisés dans tout le pays et les organisations syndicales ont lancé un nouvel appel à la grève générale ce mercredi 30 octobre. (...)
Les 130 associations du Scac ont mis en avant que la croissance économique du Chili a apporté son lot de drames avec, entre autres, les « zones de sacrifice [des territoires habités et très pollués], les communautés qui n’ont pas accès à l’eau pour leur consommation humaine et leurs productions agricoles, les menaces et les assassinats de militants environnementaux… ».
COP25 : beaucoup de questions en suspens
Pilar Moraga, chercheuse au Centre de droit environnemental de l’Université du Chili, partage cette critique faite par le milieu associatif chilien en ajoutant que cela pourrait être une motivation supplémentaire pour descendre dans la rue (...)
Mardi 29, quarante parlementaires européens ont signé un courrier envoyé à la haute représentante des Affaires étrangères de l’UE demandant à ce que « la COP25 ne se tienne pas au Chili tant que le peuple chilien subit une forte répression ». M. Piñera leur a coupé l’herbe sous le pied. Le bilan officiel des manifestations, probablement en deçà de la réalité, se chiffrait ce mercredi à 20 morts, 473 blessés et plus de 2.000 personnes arrêtées. L’Organisation des Nations unies a délégué une mission pour enquêter sur ces supposées violations des droits humains. (...)
Le retentissement international de cette annulation laisse beaucoup de questions en suspens : Où se déroulera la COP25 ? Va-t-elle se dérouler début décembre ? À Bonn, en Allemagne, où se trouve le siège de la CCNUCC ? Va-t-elle être purement et simplement annulée ? Quelles sont les conséquences sur les négociations internationales alors que la COP25 représentait la dernière étape pour traduire en plan d’actions les engagements pris par les États signataires de l’Accord de Paris ?
Alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter et que la COP25 s’était donné pour objectif de convaincre les États de rehausser leurs engagements pour rester sous les 2 °C de réchauffement mondial d’ici à 2100, le gouvernement chilien s’est déchargé de répondre à ces questions. Et pourtant, le Chili est touché par une sécheresse sans précédent en plein hiver austral et doit faire face à une pénurie d’eau dans plusieurs régions.