
Pablo Sepúlveda Allende, petit-fils de Salvador Allende, le président renversé par le coup d’État du général Augusto Pinochet, se présente à l’élection de la Constituante chilienne, obtenue par le mouvement social, qui se tiendra le 16 mai.
Il ne pouvait être absent des élections qui, le 16 mai prochain (lire ci-dessous), doivent envoyer la Constitution d’Augusto Pinochet dans les poubelles de l’histoire. Pablo Sepúlveda Allende, petit-fils de Salvador Allende, le président socialiste du Chili renversé le 11 septembre 1973 par l’armée, se présente dans le district 10 de la capitale, sur la liste « Mouvements sociaux, unité des indépendants ». Né au Mexique en 1976, où il a grandi avec sa famille en exil, il passe son adolescence au Chili avant de reprendre la route pour étudier la médecine à Cuba. Arrivé au Venezuela comme coopérant de la Mission Barrio Adentro, il y pratiquera pendant onze ans. Le choc de la répression subie en 2019 par le mouvement social chilien le ramène au Chili, où il intègre la brigade qui porte secours aux manifestant·es blessé·es. Installé à Santiago, Pablo Sepúlveda Allende s’investit désormais dans un centre communautaire dédié à la santé mentale.
Le Courrier : Vous êtes devenu médecin. Souhaitiez-vous suivre le chemin tracé par votre grand-père ?
Pablo Sepúlveda Allende : Au fond, oui, mais ce n’était pas conscient. J’ai été inspiré par sa réflexion sur le lien entre pauvreté et santé. Mon grand-père est devenu ministre de la Santé à la fin des années 1930 après la Grande Dépression. Dans l’introduction de son livre, La réalité médicale sociale chilienne, il explique qu’aucune mesure sanitaire ne sera efficace si nous ne changeons pas les structures économiques et financières du pays. Ce sont les déterminants sociaux de la santé. Ce concept a été rendu visible par la pandémie. « L’inégalité tue », disent-ils dans les débats télévisés, c’est fou, comme s’ils découvraient l’eau chaude ! On ne peut pas parler de santé publique en disant qu’il faut juste améliorer les hôpitaux. Oui, il faut le faire, mais ce n’est qu’un des quatre facteurs déterminants. Le déterminant socio-économique est le plus important, puis viennent les organisations du système de santé, ensuite l’environnement – si une population vit à côté d’une usine, c’est un environnement totalement insalubre – et enfin, le quatrième, c’est votre héritage biologique. Ici, il y a des communes pauvres, où les décès dus au Covid sont cinq ou six fois plus nombreux que dans les municipalités riches, car les gens vivent dans des quartiers surpeuplés, ils ont une mauvaise nutrition, doivent faire la queue dans les hôpitaux, emprunter les transports en commun. Ce sont des conditions matérielles qui font que vous êtes plus susceptibles d’être contaminés. (...)
« Le Chili est le seul pays au monde où l’eau est un bien privé. Le droit fondamental à l’eau doit être consacré dans la Constitution » (...)
Pourquoi avez-vous décidé de présenter votre candidature à la Convention constituante ?
Je voulais parler d’un sujet peu abordé : la renationalisation du cuivre et du lithium. Mon grand-père Salvador Allende a nationalisé le cuivre en 1971. Le 11 juillet prochain, jour de la dignité nationale, on célébrera les 50 ans de la loi de nationalisation. Aujourd’hui, le Chili possède plus de 40 % des réserves mondiales de cuivre, mais elles sont monopolisées par des capitaux privés. Avant la dictature, 30 % du cuivre était transformé au Chili, maintenant nous n’exportons que du concentré de minerai de cuivre. C’est le seul pays au monde où l’eau est un bien privé. Le droit fondamental à l’eau doit être consacré dans la Constitution. Les inégalités qui résultent de sa gestion privée sont sans précédent dans le monde et insoutenables. (...)
Si nous récupérions le contrôle de l’exploitation des ressources minières, elles pourraient être utilisées de manière plus rationnelle, en ne répondant plus à la logique capitaliste néolibérale d’extraction et d’exportation. Rien que cette année, cent projets miniers ont été approuvés, pour un montant net d’environ 20 milliards de dollars. Si on nationalisait, on pourrait réduire l’exploitation et lui donner une valeur ajoutée, en produisant les dérivés du cuivre. Le Japon n’a pas de mines de cuivre, mais il possède de nombreuses raffineries. Ce sont des technologies propres qui n’émettent aucune émission dans l’air. Celles qui restent au Chili datent des années 1960 et sont très polluantes. Une autre partie des bénéfices peut être consacrée au développement d’une économie de la connaissance, mais il faudrait beaucoup investir dans l’éducation, l’innovation et le développement, pour ne plus dépendre à l’avenir des matières premières.
Nous pourrions fabriquer des batteries au lithium de haute technologie qui ne produisent aucun effet de serre. Les voitures électriques produites par la société étasunienne Tesla consomment trois fois plus de cuivre qu’un véhicule ordinaire. (...)
Evo Morales a été victime d’un coup d’État, parce qu’il avait signé des accords avec des entreprises allemandes pour la production de batteries au lithium et de voitures électriques. Le propriétaire de Tesla, Elon Musk, a été complice de la déstabilisation et du coup d’État en Bolivie, comme l’a déclaré récemment le président Luis Arce. Elon Musk avait dit qu’il n’autoriserait pas la concurrence, et encore moins celle d’un État-nation. Luis Arce a gagné les élections, et il y a désormais des accords avec l’Argentine pour industrialiser ce minerai, en intégrant les communautés proches de l’exploitation pour générer moins d’impacts environnementaux.
Vous avez lancé un manifeste qui est un appel à « renationaliser le Chili et créer un modèle d’industrialisation post extractiviste ». Pourquoi certains mouvements écologistes ont-ils refusé de le signer ?
Ils disent que, s’il y a un contrôle étatique ou public, c’est comme changer de patron. Je ne suis pas d’accord, même si je comprends leur inquiétude parce que l’État a presque toujours été administré par le pouvoir économique capitaliste. De plus, il existe des tensions à gauche en Amérique latine, à propos de l’extractivisme, car certains estiment que les politiques de la Bolivie, de l’Équateur et du Venezuela ont poursuivi la logique néo-développementaliste. Il faut ouvrir un débat public à propos de ce sujet complexe. Mais, au final, cela dépend de la volonté de ceux qui gouvernent. La démocratie directe peut nous permettre que l’État soit au service du peuple. C’est un des nos objectifs à la Constituante. (...)