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Le Monde Diplomatique
Chômage, le mythe des emplois vacants
Article mis en ligne le 8 mars 2015
dernière modification le 1er mars 2015

A écouter de nombreux discours sur les emplois vacants ou non pourvus, la France serait assise sur d’immenses gisements de travail salarié. De tels propos alimentent une proposition politique : renforcer le contrôle des chômeurs pour que l’aiguillon de la contrainte les tire de l’apathie. Pourtant, les chiffres mis en avant ne signifient pas ce que l’on cherche à leur faire dire, bien au contraire.

Monsieur François Rebsamen, le nouveau ministre du travail, s’est alarmé sur France Inter, le 19 novembre dernier, de l’existence de « quatre cent mille emplois non pourvus et abandonnés parce qu’ils ne trouvent pas de réponse ». Ces propos font écho aux « cinq cent mille offres d’emploi qui ne sont pas satisfaites » qu’évoquait M. Nicolas Sarkozy lors d’un entretien à l’Elysée le 24 août 2008, en ajoutant : « Certains ne veulent pas se mettre au travail. » Les chiffres fluctuent au gré des commentateurs, mais l’argument perdure. « Six cent mille emplois vacants : les chômeurs veulent-ils vraiment travailler ? », se demande ainsi l’animateur Jean-Marc Morandini (1). En mai 2014, le Mouvement des entreprises de France (Medef) a lancé sur France Télévisions une campagne de communication fondée sur la même équation facile. Pourtant, journalistes et hommes politiques brassent des chiffres sans connaître leur origine et leur signification réelle. (...)

De nombreuses annonces échouent sans que l’on puisse incriminer les chômeurs : salaire ridicule par rapport aux compétences exigées, recruteur inexpérimenté, inexistence du poste annoncé, l’offre servant à la constitution par l’employeur d’une base illégale de CV, etc. La problématique des emplois non pourvus gomme l’enjeu de la qualité du travail, en postulant la commensurabilité de toute offre. Regardons plus précisément les offres qui circulent à Pôle emploi. Nombreuses sont les propositions du type « nettoyage industriel, 1 heure par semaine, 9,75 euros l’heure » ou « aide ménager(e), 2 heures par semaine, 11 euros l’heure ». Les chômeurs à la recherche d’un emploi à plein temps ne s’intéressent logiquement pas aux contrats courts… mais ils font monter le nombre d’emplois non pourvus. On leur reproche de ne pas vouloir travailler, alors qu’ils veulent au contraire travailler davantage ! Beaucoup sont aussi piégés par des trappes à pauvreté. Entre 2007 et 2011, environ cinq cent mille personnes ont dû renoncer à un poste en raison de problèmes de logement et du surcoût de la mobilité exigée (2) (...)

La France sous la moyenne européenne

L’existence d’offres non pourvues indique que les demandeurs d’emploi ne sont pas tous réduits à travailler dans n’importe quelles conditions. Or, lorsqu’ils recherchent vraiment des salariés, les employeurs disposent toujours de leviers, ceux qu’ils mettent en œuvre en cas de crise d’embauche : hausse du salaire, meilleurs horaires ou meilleures conditions de travail…

Seconde cible, rarement distinguée : les offres vacantes. Il s’agit d’une photographie instantanée des postes nouvellement créés, encore vides ou bientôt vacants, que l’employeur souhaite pourvoir dans un délai donné. Par définition, un emploi doit être vacant avant d’être occupé. On lit trop souvent cet indicateur à l’envers. Chômage et emplois vacants évoluent en sens contraire. Plus le nombre d’emplois vacants est élevé, plus on trouvera d’emplois disponibles ou en voie de création.

La France comprend un nombre d’emplois vacants bien inférieur à la moyenne européenne (...)

Derrière les discours lénifiants et hors de toute proportion sur les difficultés de recrutement, la question fondamentale de la politique d’emploi demeure l’accroissement du nombre d’offres, et pas leur pourvoi intégral. Ranger les campagnes sur les postes vacants ou non pourvus au rang des discours trompeurs et inoffensifs serait une erreur. Elles ont des conséquences financières pour les intéressés. En réalité, assimiler les bénéficiaires de droits sociaux à des paresseux ou à des fraudeurs en puissance conduit une partie significative d’entre eux à ne pas faire valoir leurs droits. En France, le montant des droits non perçus excède largement la fraude sociale (4) ; la fraude à Pôle emploi, elle, ne constitue que 0,84 % de l’ensemble de la fraude (5). La stigmatisation des chômeurs ouvre la voie à un accroissement du non-recours aux allocations et à une réduction de celles-ci ; doubles économies faites au détriment d’une population qui vote de moins en moins.