
Depuis le début de 2015, plus de 85 000 migrants ont traversé la Méditerranée dans des bateaux de passeurs. La saison de navigation est pourtant à peine commencée.
Les responsables politiques européens sont soumis à des pressions pour adopter rapidement des mesures visant à endiguer cet afflux sans précédent, mais, selon les chercheurs, ils le font en ayant seulement une compréhension superficielle de ses causes.
Le Migration Policy Institute (MPI), un groupe de réflexion basé à Bruxelles, vient tout juste de publier un rapport intitulé Before the Boat : Understanding the Migrant Journey [Avant le bateau : comprendre le parcours du migrant]. Le rapport se fonde en partie sur des interviews réalisées auprès de 120 migrants et migrants potentiels en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Le rapport remet en cause certaines « suppositions simplistes » servant actuellement de fondements à la rédaction de politiques en matière de migration. Voici cinq idées fausses répandues :
Les migrants entreprennent des voyages dangereux parce qu’ils ne comprennent pas les risques auxquels ils s’exposent
Toutes les recherches réalisées sur le sujet démontrent que les migrants sont généralement bien informés des dangers auxquels ils s’exposent en empruntant un trajet en particulier pour se rendre à leur destination, mais qu’ils considèrent que les avantages attendus sont au moins aussi grands que les risques encourus. (...)
Les pays d’origine et de transit peuvent endiguer l’afflux de migrants illégaux (...)
Selon le rapport du MPI, l’intérêt et la capacité des pays d’origine et de transit à résoudre le problème de la migration irrégulière sont limités et l’application pratique des accords de coopération est lente.
« L’endiguement de l’afflux de migrants irréguliers dans l’Union européenne n’a pas la même importance politique pour les partenaires des pays tiers », écrivent les auteurs, qui recommandent l’affirmation d’un engagement politique global à plus long terme avec les pays pertinents.
Il se peut que les États membres doivent ajuster leurs attentes d’ici là. (...)
Mme Collett, du MPI, a conseillé aux ministres des Affaires étrangères de l’UE de considérer le défi de la migration comme une occasion de réfléchir de façon plus globale aux problèmes humanitaires et de développement dans les pays d’origine et de transit. (...)
Les migrants sont les victimes des passeurs
« Les gens considèrent généralement que le passeur est un fournisseur de services et que le migrant est simplement une victime passive ou une marchandise », a dit M. Townsend. « Dans la plupart des cas, ce n’est pas tout à fait vrai. C’est vrai pour la traite d’êtres humains, mais, dans le contexte qui nous intéresse, le migrant joue un rôle actif et doit faire des choix difficiles ; il a plus un rôle de consommateur. » (...)
« Les passeurs sont parfois considérés comme ceux dont on a besoin pour rester en vie », a dit Christel Oomen, co-auteure du rapport. « Ils peuvent être davantage vus comme des guides touristiques, des gens qui savent par où passer pour traverser certaines régions perçues comme dangereuses en raison de la présence des forces gouvernementales – la route entre Benghazi et Tripoli [en Libye], par exemple. »
Elle a ajouté que les migrants distinguaient les différents types de passeurs : des patrons libyens qui contrôlent les bateaux aux agents et aux facilitateurs dans les pays d’origine. « S’il n’est pas mieux défini, le terme ‘passeur’ n’évoque pas grand-chose pour de nombreux migrants. »
Sévir contre les réseaux de passeurs peut permettre de réduire considérablement le nombre de migrants irréguliers
Les réseaux de passeurs sont fluides et mettent moins de temps à s’adapter aux nouvelles politiques et initiatives en matière d’application de la loi qu’il n’en faut aux gouvernements pour les rédiger. Ils dépendent aussi souvent de collaborations informelles qui impliquent des responsables corrompus et des gestionnaires d’entreprises légitimes, comme des agences de voyages ou des sociétés de transport. (...)
Les politiques de migration et d’asile ont un impact majeur sur la destination des migrants
Les interviews réalisées dans le cadre de la rédaction du rapport du MPI reflétaient des niveaux divers de compréhension des politiques de migration européennes. Le choix de la destination a souvent moins à voir avec les politiques de migration d’un pays qu’avec la présence d’une diaspora importante ou les conditions économiques et sociales attrayantes qui y prévalent.
Alors que les cadres politiques et législatifs de l’UE sont fondés sur la séparation des migrants en deux catégories – ceux qui peuvent légitimement demander l’asile et ceux qui ne le peuvent pas –, les migrants eux-mêmes font rarement la distinction. (...)
Selon Mme Collet, une meilleure compréhension de la façon dont les migrants sont influencés par les politiques de l’UE pourrait permettre d’améliorer l’efficacité des interventions. La directrice du MPI admet par ailleurs que les responsables européens ont souvent les mains liées par les considérations politiques entourant les questions de migration en Europe, même lorsqu’ils peuvent s’appuyer sur un ensemble de données plus fiables.
« L’UE donne effectivement l’impression de vouloir mener une réflexion plus approfondie sur les complexités de la question, mais elle n’en est qu’au tout début du processus et celui-ci sera sans doute profondément influencé par les événements et par la politique. » (...)