
Avec le « Grand Paris » et les JO, l’agglomération parisienne s’apprête à connaître une vague de grands projets urbains, portés par des élus et des multinationales. D’un côté, plusieurs de ces projets répondent à des préoccupations sociales indéniables. De l’autre, ils entraîneront une nouvelle hausse de l’immobilier et contribueront à bétonner davantage la région. Qu’en est-il des prétentions de leurs promoteurs à l’excellence environnementale ? Pouvait-on faire autrement et dessiner un « Grand Paris » plus proche des habitants ? Second volet de notre enquête.
Nouvelles lignes de métro automatique, tours, centres commerciaux, équipements sportifs : avec les Jeux olympiques et le « Grand Paris », une déferlante de projets urbains est sur le point de métamorphoser la région parisienne. Avec l’objectif, selon ses promoteurs, de « créer un choc économique et urbain » [1]. Un « choc » qui risque de causer de graves dommages sociaux et environnementaux, malgré l’utilité de certains projets de transport ou de nouvelles offres de logements. A-t-on fait ce qu’il fallait pour en atténuer les effets dommageables ?
La préoccupation climatique, et plus généralement environnementale, ne pouvait certes pas être absente des réalisations même les plus pharaoniques liées au Grand Paris. Le comité d’organisation de Paris 2024 promet que ses JO seront « les plus verts de l’histoire ». EuropaCity, le projet de centre de loisirs et de commerce géant d’Auchan au nord de Paris, dans le Triangle de Gonesse, multiplie les affichages en matière environnementale, avec l’engagement d’installer des zones de maraîchage bio en lisière du site, afin de compenser ses émissions de gaz à effet de serre.
Pour les détracteurs de ces projets, cependant, de telles promesses servent surtout à éviter de poser une question fondamentale : n’aurait-il pas été préférable, du point de vue de l’environnement et du climat, que ces réalisations ne se fassent pas ? « On baisse peut-être de 55 % les émissions de gaz à effet de serre [des JO de Paris par rapport à ceux de Londres, ndlr], mais avait-on seulement besoin d’en créer ? Par nature, les Jeux Olympiques créent des nuisances, c’est donc l’opportunité même de les organiser qu’il faut critiquer », fait valoir David Belliard, président du groupe écologiste du Conseil de Paris, interrogé récemment par Basta !. (...)
Les normes actuelles applicables aux bâtiments sont effectivement plus strictes que par le passé, en termes d’isolation par exemple. Elles ne suffisent cependant pas à rendre « écologique » un projet immobilier qui ne l’est pas au départ. Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé une réduction générale du niveau des exigences sociales et environnementales du logement, afin d’être « pragmatique » et de « libérer » la construction.
Des éco-quartiers pas vraiment écolos ni sociaux (...)
Et qu’en est-il de l’appel à projets « Inventons la métropole du Grand Paris » ? Les critères environnementaux et climatiques y figurent bien, mais derrière « l’innovation » et « les ambitions urbaines ». Malgré une mention des « grands défis environnementaux » de la métropole, la plupart des projets en train d’être examinés par le jury ne vont guère au-delà des marqueurs à la mode : un peu d’agriculture urbaine ici, un peu de végétalisation là, un soupçon de « partage » et une dose de « smart ». Sans oublier une structure de l’économie sociale et solidaire dans le consortium portant le projet.
Pas de voix au chapitre pour des projets alternatifs
Étonnant ? Pas lorsque l’on constate que les promoteurs et les investisseurs ne varient pas : Vinci, Linkcity (Bouygues), Compagnie de Phalsbourg, Cogedim, Kaufman & Broad… Plusieurs des sites proposés, comme à Gonesse ou sur le Plateau de Saclay, sont des terres encore non construites, destinées à un bétonnage au moins partiel. Le projet alternatif porté par le groupement Carma sur le Triangle de Gonesse, auquel contribuent les architectes de fair, n’a pas été retenu parmi les finalistes : il ne proposait que de l’agriculture. Quand l’« innovation environnementale » passe avant la préservation de l’environnement et le maintien de productions locales…
Un autre critère brille par son absence dans cet appel à projets : celui de l’utilité sociale. C’est pourtant l’un des arguments majeurs des défenseurs du Grand Paris face aux critiques des écologistes (...)
si certaines des futures lignes du Grand Paris Express auront une utilité indéniable si l’on en croit les prévisions de fréquentation, ce n’est pas le cas de toutes. (...)
D’autres modalités de transport auraient pourtant pu être étudiées pour desservir ces territoires. Le choix de creuser d’immenses tunnels à grande profondeur – jusqu’à 55 mètres sous terre – est en partie responsable de l’explosion programmée des coûts. Cela aura également pour conséquence d’augmenter considérablement les émissions de gaz à effet de serre liées aux chantiers. Les architectes invités par Nicolas Sarkozy envisageaient initialement un métro aérien, ce qui avait aussi l’avantage d’assurer aux passagers une qualité de l’air bien meilleure que dans les transports souterrains. D’autres privilégieraient la rénovation des lignes existantes et la création d’infrastructures plus légères de type tram-train. Sans parler des besoins d’investissements pour rénover et améliorer les lignes RER existantes. (...)
« Au vu de l’immensité du chantier à venir, 40 années d’utilisation des nouvelles installations pourraient être nécessaires pour compenser tout le CO2 qui aura été émis pour la construction des sites », estime une étude du cabinet Carbone 4 citée par Mediapart.
Répondre aux besoins des habitants ou des multinationales ? (...)
Vers un nouveau festival de « greenwashing »
Les grandes entreprises cherchent désormais à s’approprier le discours de la « participation », de « l’humain », de la « résilience » et de « l’innovation sociale ». Au moment même où Paris annonce sa stratégie de résilience, l’Institut Veolia et la Fabrique de la cité, un think tank créé par Vinci, organisent une semaine de débats sur le même thème. La « stratégie » parisienne elle-même, élaborée avec le soutien de la fondation Rockefeller et citant Veolia et Engie parmi ses partenaires [7], n’est pas sans entériner un certain mélange entre intérêts publics, philanthropiques et privés. Si cette approche semble désormais la règle en matière d’action officielle contre le changement climatique, elle n’est pas sans créer des risques de détournement ou de confusion.
L’organisation des JO et les chantiers du Grand Paris promettent en effet un nouveau festival de « greenwashing » (...)
Tiraillées entre des impératifs peu compatibles, les politiques urbaines de l’agglomération parisienne peuvent-elles déboucher sur un nouvel équilibre ? Pour les architectes du cabinet Fair, une démarche plus audacieuse et moins technocratique aurait été possible, en partant de la multitude d’alternatives concrètes portées par des associations, des coopératives ou des groupes de citoyens en Ile-de-France (...)