
Du 30 août au 4 septembre s’est déroulée à Tel-Aviv une formation tous frais payés par le gouvernement israélien pour « apprendre à parler d’un conflit de manière neutre et professionnelle ». Au programme, des conférences sur le terrorisme et les sujets militaires et politiques, un « tour stratégique » de Jérusalem et des zones de conflit, et des rencontres et échanges avec des leaders politiques, des universitaires et des journalistes israéliens. Trente journalistes du monde entier, triés sur le volet, y ont participé.
« Les conflits sont partout. Notre vrai défi est d’en parler » : c’est sous ce slogan attrayant qu’une formation de cinq jours tous frais payés à Tel-Aviv, le Media In Conflicts Seminar (MICS), est proposée à de jeunes journalistes du monde entier pour les inviter à adopter une vision plus « objective » des agissements d’Israël. Une action de la hasbara [1] très discrètement financée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
Les sauveurs de la Palestine
« Je préfère que la Palestine devienne terre d’Israël, plutôt que de la voir tomber aux mains du Hamas », les organisateurs du séminaire « médias en conflit » préviennent que l’interview est « off ». Ce Palestinien ne donnera pas son nom. Il craint pour sa vie. Il explique que si « certaines personnes » venaient à apprendre ce qu’il pense, il serait menacé de mort. Il travaille dans le bâtiment, « avec des Arabes et des juifs, et tout va bien », assure-t-il. Selon lui, cette situation et les morts qui s’accumulent depuis des années sont la faute du Hamas qui utilise les gens de Gaza comme boucliers humains.
La résonance avec le discours entretenu par l’armée israélienne laisse perplexe. (...)
Parmi les seize intervenants du MICS, trois sont des Palestiniens, et les trois soutiennent la politique d’Israël. Là est toute l’étendue de l’« impartialité » proposée par la formation. Le message est asséné tous les jours : Israël nous sauvera tous. Barak Raz est un ancien porte-parole de l’armée israélienne et un ancien chef d’opérations militaires. Il est présenté dans le séminaire comme « un fier sioniste qui aime à l’occasion partager ses pensées et ses impressions sur la situation en Israël et dans le monde ». Il assure que « Mahmoud Abbas et le Fatah savent très bien que seul Israël peut maintenir l’ordre et la sécurité en Cisjordanie. C’est pour cette raison qu’ils nous laissent intervenir ». La perspective israélienne est défensive et protectrice, et leur armée est une « force de défense » (...)
La « formation » devient digne des plus grandes campagnes politiques. Les organisateurs se disent étudiants ou anciens étudiants intéressés par les relations internationales. Mais qui paie les cinq jours tous frais payés (à l’exception du billet d’avion pour se rendre à Tel-Aviv), avec bus privé affrété tous les jours et séjour dans un hôtel à 150 dollars par jour ? Sans compter que devant le micro, ce sont pour la plupart des militaires haut-gradés, des porte-paroles ou d’anciens porte-paroles de l’armée qui se relaient.
Ce séminaire dit « professionnel » a en fait débuté en 2009, à l’initiative d’anciens membres de StandWithUs Israel, un groupe anti-palestinien basé aux Etats-Unis et généreusement soutenu par Israël à coups de plusieurs millions de dollars. Le projet est approuvé et reçoit la collaboration financière du ministère de la diplomatie (aujourd’hui englobé dans les services du premier ministre). (...)
Dans un article de 2010, « Conflict Reporting 2010 : Lessons from Israel », Howard Hudson, ancien éditeur au Centre européen de journalisme, mentionnait que les diplômes reçus à la fin de la formation portaient le sceau du ministère de la diplomatie. La « cérémonie » de remise des diplômes a toujours lieu, autour d’un buffet-traiteur accompagné de verres de vin rouge et blanc. Mais le sceau du ministère a disparu. Tout comme les communiqués de presse officiels qui approuvaient le programme du MICS. Restent l’ambiance estudiantine et le sentiment formidable d’appartenance à une même communauté, cultivés avec enthousiasme et loyauté par les étudiants d’Herzliyya.
Une gentille communication
Et à force de bons sentiments, le séminaire se transforme en camp d’été. Les 18 journalistes venus du monde entier, sélectionnés parmi plus de 300 candidats, ont entre 20 et 30 ans. La plupart sont à peine sortis de l’école, d’autres en sont au début de leur carrière. Ils arrivent frais et pleins d’enthousiasme devant des organisateurs du même âge. L’ensemble fait un peu colonie de vacances ; les « monos » rappellent à l’ordre ces jeunes « pioupious » excités qui ne savent pas se tenir.
Israël, vers laquelle tous les yeux sont braqués depuis des décennies, est la terre promise pour le reporter en herbe qui n’a jamais mis un pied en zone de guerre. Quelle fierté d’y être ! Et pourtant. Les heures de conférences s’enchaînent, mais très peu parmi les auditeurs prennent des notes. Très peu de mains se lèvent pour protester contre les discours assénés. L’oreille semble attentive, c’est déjà bien assez. Tout le monde garde ses forces pour les sorties du soir. Selfies, tournée des pubs et dîner-pizzas initiés par les jeunes cadres dynamiques de la capitale israélienne font oublier les bombes qui pleuvaient sur Gaza il y a à peine quelques semaines. (...)
Aucun esprit critique, aucune réflexion personnelle de la part de ceux qui sont présentés comme les « plumes » de demain. Israël et sa stratégie de « communication gentille » peuvent se féliciter de leur succès. Et nous, nous inquiéter de cette trop facile manipulation des jeunes cerveaux du monde des médias.