
Des OGM vont-ils se retrouver dans nos assiettes sans que nous en soyons informés ? C’est ce que laisse redouter un projet de réglementation porté par la Commission européenne. Premier volet de notre enquête.
« Pour vendre des OGM à celles et ceux qui n’en veulent pas, il suffit de dire que ce ne sont pas des OGM. Tel est l’objectif de la réforme annoncée de la réglementation européenne. » Guy Kastler du syndicat de la Confédération paysanne, ne mâche pas ses mots, alors que la Commission européenne prévoit dans les jours à venir de discuter de la réglementation des plantes « produites par les nouvelles techniques du génome » [1].
Une version fuitée de la proposition de déréglementation, proposée par la direction générale de la Santé, confirme les craintes des organisations de la société civile. Deux catégories de nouvelles plantes OGM seraient créées, dont une qui selon la Commission, « pourraient également se produire naturellement ou être produites par sélection conventionnelle ». Ces plantes génétiquement modifiées ne feraient ainsi l’objet d’aucune évaluation des risques pour la santé et des effets sur l’environnement.
Cette catégorie est définie par un ensemble de critères figurant dans une annexe, qui mentionne un nombre aléatoire de « 20 modifications génétiques ». « Il n’y a aucun moyen de savoir si ces modifications se produisent réellement dans la nature. Le simple nombre de nucléotides modifiés ne signifie pas qu’ils sont sûrs, et les effets involontaires de la modification ne seront pas vérifiés », dénonce Nina Holland de l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO).
Induire des mutations dans le génome
Que recèlent ces nouvelles techniques ? « On parle ici de mutagenèse : on induit des mutations dans le génome d’un organisme vivant. Plus besoin donc de faire intervenir un gène extérieur », décrypte Éric Meunier de l’association Inf’OGM, veille citoyenne d’information critique sur les OGM et les semences. Plutôt que de croiser des plantes entre elles (la transgenèse [2]), les laboratoires agissent directement sur le génome pour provoquer la caractéristique qu’ils souhaitent. Certes, une plante s’adapte naturellement à son milieu si celui-ci évolue. Mais avec la mutagenèse, « ce changement se produit sur une échelle de temps sans commune mesure avec l’échelle ’’naturelle’’ » observe Éric Meunier. (...)
« Privatisation du vivant »
En creux de cette bataille se pose la question déterminante du brevetage du vivant : la propension de grands groupes privés à accaparer la propriété d’un gène, d’une semence ou d’une plante. (...)
Or ces informations génétiques ne viennent pas de nulle part. « Elles sont tirées des millions d’échantillons de semences physiques qui ont été collectées dans les champs des paysans et conservées », énonce Antonio Onorati, membre de l’organisation Associazione Rurale Italiana. Les semences sont notamment conservées dans des collections publiques. « Les labos vont chercher dans des mégaserveurs les propriétés ou fonctions qui correspondent à telle information génétique. Une fois identifiées, ils les prennent dans des plantes ou du matériel biologique venant de nos champs ou présents dans la nature, avant de procéder à une construction génétique en laboratoire. Le produit obtenu contient donc des traits natifs qui appartiennent à une espèce entière ou à des plantes cultivées dans les champs paysans, mais qu’ils veulent breveter ! »Or ces informations génétiques ne viennent pas de nulle part. « Elles sont tirées des millions d’échantillons de semences physiques qui ont été collectées dans les champs des paysans et conservées », énonce Antonio Onorati, membre de l’organisation Associazione Rurale Italiana. Les semences sont notamment conservées dans des collections publiques. « Les labos vont chercher dans des mégaserveurs les propriétés ou fonctions qui correspondent à telle information génétique. Une fois identifiées, ils les prennent dans des plantes ou du matériel biologique venant de nos champs ou présents dans la nature, avant de procéder à une construction génétique en laboratoire. Le produit obtenu contient donc des traits natifs qui appartiennent à une espèce entière ou à des plantes cultivées dans les champs paysans, mais qu’ils veulent breveter ! » (...)
« Beaucoup de paysans n’oseront plus faire leurs propres semences »
Les paysans pourraient être les premières victimes de ces extensions abusives de brevets. (...)
D’après la législation européenne, la portée d’un brevet sur une information génétique s’étend à toute plante qui présente un trait semblable au trait breveté, comme la résistance à une maladie par exemple [3]. « En l’état actuel du droit des brevets, ce brevet va s’appliquer à tout organisme vivant possédant cette séquence génétique qui vit dans la nature », alerte Éric Meunier. « L’enjeu pour les multinationales qui disposent de ces brevets, c’est donc d’arriver à se débarrasser de l’étiquette OGM, dernier marqueur visible de la présence de brevets dans une plante. Cette question des brevets est centrale pour les multinationales. »
À l’heure actuelle, 60 % du marché mondial des semences est contrôlé par six multinationales : Bayer (Allemagne), Corteva Agriscience (États-Unis), ChemChina/Syngenta (Chine), BASF (Allemagne), Limagrain/Vilmorin (France) et KWS (Allemagne). Deux d’entre elles (Bayer et Corteva) maîtrisent à elles seules 40 % de ce marché. Ce sont quasiment les mêmes entreprises qui dominent le marché mondial des pesticides. (...)