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Observatoire des inégalités
Comment la gauche « moderne » a abandonné les classes populaires
Article mis en ligne le 11 janvier 2016

Les inégalités sont à la mode, tant qu’elles sont compatibles avec les hiérarchies sociales. La gauche « moderne » a abandonné les classes populaires, qui lui rendent la monnaie de sa pièce. Un point de vue de Louis Maurin. Extrait du quotidien « Le Monde ».

« Si j’étais chômeur, je n’attendrais pas tout de l’autre, j’essaierais de me battre d’abord ». L’extrême violence des propos du ministre de l’Économie Emmanuel Macron n’a pas échappé aux cinq millions de demandeurs d’emploi, les dimanches 6 et 13 décembre derniers, au moment de voter. Que se passe-t-il dans la tête d’une caissière quand elle entend qu’un ministre du Travail estime que le contrat de travail n’établit pas de lien de subordination (François Rebsamen) ? Ou quand elle voit que sa suivante, Myriam El Khomri, ne sait dire combien de fois son contrat à durée déterminée peut être renouvelé ? Une boule de haine qui monte face à l’humiliation.

La gauche « moderne » ignore les classes laborieuses ; elles lui rendent dans les urnes la monnaie de sa pièce. Voilà qui permet de comprendre la poussée du Front national, bien plus que la peur des étrangers dont la part dans la population (6,4 %) est inférieure à ce qu’elle était en 1982. L’incrédulité des dirigeants socialistes devant leur impuissance à endiguer la montée du parti d’extrême droite a une raison simple : ils ne comprennent plus rien à la société française.

Certes, la gauche n’a pas abandonné les inégalités, elle n’a même que ce mot à la bouche. Inégalités d’âge, de sexe, de couleur de peau ou entre les territoires nourrissent la communication politique, les livres, les colloques et les discours. Tant que celles-ci demeurent compatibles avec une très forte hiérarchie entre les exécutants et ceux qui décident, tout va bien.

Peu importe les écarts de salaires entre le haut et le bas ou la précarité, tant que l’on compte le bon nombre de représentants de la « diversité » ou que l’on respecte la « parité » parmi les dirigeants. Tant pis si les immigrés et les femmes des milieux populaires sont les premiers touchés par la précarité. Le temps est venu des « chartes », des « pactes » ou de la « responsabilité sociale ». L’appel à la bonne volonté des dirigeants d’entreprise a remplacé la lutte des classes ; la charité sociale est devenu un substitut au partage de la richesse.

Ce changement assure une cohérence idéologique à cette gauche qui associe libéralisme culturel et économique et qui n’a absolument rien de social démocrate. Le mariage homosexuel plus la flexibilité du travail, elle y croit. Cette idéologie est assumée au plus haut de l’État par le ministre de l’Économie lui-même, qui se situe dans le camp « du libéralisme politique et économique » sans être désavoué (Le Monde daté 29 septembre 2015). Ce qui compte [1], c’est « l’égalité des opportunités » : permettre aux gosses de pauvres de devenir riches et aux gosses de riches de devenir pauvres… Si chacun peut accéder à toutes les places, peu importe la façon dont notre système fonctionne et qu’il écrase le plus faible.

Le discours des économistes du XIXe siècle est présenté comme « moderne ». Ceux qui veulent rendre le fonctionnement du système plus juste – ces « égalitaristes » – disqualifiés (...)

Incapable de penser la question sociale, la gauche « moderne » croit avoir trouvé la parade pour devenir populaire. Penser la société avec des sondages et brosser la population dans le sens du poil. On continue à nous expliquer que ces couches populaires se manifestent, non parce qu’elles paient cher les effets de la crise, mais parce qu’elles auraient peur du « grand remplacement ». Marginalisées hors des villes, elles seraient mises en « insécurité culturelle » par les populations immigrées des cités, qui profitent de l’expansion des métropoles. Le discours du Front national en version allégée est devenu politiquement correct à gauche en grossissant à l’extrême les difficultés – réelles – posées par l’intégration des étrangers dans un contexte de chômage. En utilisant les arguments de l’extrême droite, la gauche ne fait que légitimer un discours de haine. (...)

« Nos sociétés ne sont pas sans classes, mais sans discours de classe articulant, de manière nouvelle, une explication théorique de ces inégalités à un projet politique de transformation sociale, crédible et vérifiable », expliquait le sociologue Claude Dubar [2]. Tout est dit. (...)