
À Marseille, le 8 décembre 2018, en marge d’une manifestation des « gilets jaunes », des policiers ont fracassé le crâne de Maria∗, 19 ans, lui blessant gravement le cerveau. Notre enquête sur ces violences révèle, preuves à l’appui, la partialité de l’IGPN, la police des polices, et sa volonté d’enterrer les faits et nier les responsabilités.
Blanchir les policiers. Dédouaner les responsables. Et ne retrouver sous aucun prétexte les auteurs du tir et des coups qui ont changé la vie de Maria, 19 ans, qui rentrait chez elle après sa journée de travail à Marseille, le 8 décembre 2018, samedi de mobilisation des « gilets jaunes » et de manifestation contre les logements insalubres. À la lecture des pièces du dossier, que Mediapart a pu consulter, ce sont les seuls objectifs que semble s’être donnés l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices.
Le 30 avril, le procureur de la République de Marseille a ouvert une enquête préliminaire pour « violences aggravées » par trois circonstances : elles auraient été commises par des personnes dépositaires de l’autorité publique, en réunion et armées. Dans ce cadre, l’IGPN a été saisie, puis son enquête versée à l’information judiciaire enclenchée fin juillet. (...)
Aucune mesure n’a à ce jour été prise à l’encontre du moindre policier. Cet été, déjà, la cheffe de l’IGPN, Brigitte Jullien, réfutait « le terme de violences policières » et déclarait au Parisien que s’il n’y avait pas de policier suspendu, c’était « parce qu’aucune enquête n’a[vait] permis de conclure que la responsabilité d’un policier était engagée à titre individuel ».
À la lecture de « l’enquête » menée à Marseille, on comprend mieux comment il est possible de ne jamais aboutir.
Le fait que ce soit la section marseillaise de l’IGPN qui ait été saisie et non une antenne délocalisée (comme celle de Paris ou de Lyon) a-t-il accentué ce manque d’empressement à identifier les responsables ? Pour rappel, c’est déjà à Marseille que tout a été fait pour que le policier ayant causé la mort de Zineb Redouane le 1er décembre 2018, une semaine avant le drame de Maria, ne soit jamais identifié (à lire ici).
Dans le cas de Maria, l’autoprotection des policiers a commencé par une obstruction. La jeune femme de 19 ans se serait d’abord vu opposer deux refus de dépôt de plainte dans deux commissariats en décembre, à sa sortie de l’hôpital. Elle n’a pu le faire qu’en avril. (voir et entendre ici son récit complet).
L’IGPN est alors saisie. Mais près de cinq mois après les faits, les images de vidéosurveillance de la ville ont été écrasées selon les délais d’usage, de même que les écoutes des échanges radio de la police (Acropol), qui sont, elles, conservées deux mois. (...)
Le problème est que d’autres preuves, qui auraient pu être exploitées par la justice, ont disparu : le précieux rapport informatique faisant état de l’ensemble des mouvements et des interventions des policiers la journée du 8 décembre a été tronqué entre 14 h 37 et 23 h 21. Plus un mot de disponible.
Auditionnée sur ce dysfonctionnement majeur, la fonctionnaire en charge de ce logiciel policier nommé Pegase, n’en revient pas : « C’est particulièrement étonnant. Cela fait deux ans que je suis au CIC [centre d’information et de commandement – ndlr] et c’est la première fois que je vois une fiche avec un tel défaut. Je ne suis jamais tombée sur une fiche qui présentait un tel “trou” dans les commentaires ». Selon cette fonctionnaire, il ne peut en aucun cas s’agir d’un bug informatique. Seulement d’une intervention humaine. (...)
D’autres dysfonctionnements apparaissent vite. Alors que Maria a reçu un tir de LBD dans la cuisse, Philippe Combaz, le commissaire divisionnaire, qui supervise les opérations sur le terrain, concède n’avoir « peut-être même pas fait de sommations » ce samedi 8 décembre. Selon le code de la sécurité intérieure (ici et là) et le code pénal, il lui incombe pourtant impérativement de le faire avant que la force ne soit employée. Seule exception, si les policiers sont violemment attaqués et en danger – cas de figure qu’exclut la vidéo de Maria (...)
Au cours des auditions, les responsables de police disculpent les agents placés directement sous leur commandement. (...)
Une partie des difficultés est là : certains des policiers ont sciemment masqué leur visage et ne portaient aucun signe indiquant leur appartenance à la police comme les y oblige pourtant le Règlement général d’emploi (RGE) de la police nationale.
Faire porter la responsabilité aux « compagnies de marche » est dès lors pratique pour la haute hiérarchie policière.
Loin de les disculper, les principaux chefs d’unité répondent souvent « je ne sais pas ». (...)
L’IGPN identifie formellement le premier policier le 11 juillet, mais dès le lendemain, l’arrêt maladie de ce policier, qui avait débuté le 5 juillet, est prolongé. Les enquêteurs décident d’aller chez lui pour une perquisition. Mais lorsqu’ils arrivent à son domicile, situé à 150 km de Marseille, ils trouvent porte close : l’intéressé est parti en vacances en Lozère dans sa résidence secondaire, à quelques kilomètres de là. L’IGPN ne poursuit pas plus loin. (...)
Au terme de l’enquête préliminaire ouverte le 30 avril pour « violences aggravées par personnes dépositaires de l’autorité publique, en réunion, avec arme », le procureur de la République de Marseille a requis, le 25 juillet, l’ouverture d’une information judiciaire pour que soit saisi un juge d’instruction. Cette instruction a aussi été ouverte pour « non-assistance à personne en danger » et « violences aggravées ».
Brice Grazzini, l’avocat de Maria, n’est pas rassuré pour autant. Il souhaite que les investigations ne soient plus menées par l’IGPN. (...)
Des sanctions peut-être ? Le chef d’état-major Jean-Marc Luca, principal responsable de ce dispositif, en salle de commandement au moment des faits, a bien connu une évolution de carrière au cours de l’enquête. Mais pas celle qu’on aurait pu imaginer. Il a été promu directeur départemental de la sécurité publique du Vaucluse, le lundi 3 juin, en cours d’enquête.