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Comment le Larzac voit Notre-Dame-des-Landes aujourd’hui
Article mis en ligne le 27 octobre 2018
dernière modification le 26 octobre 2018

Alors que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes semble s’enliser, sur le plateau les premières générations de la lutte sont toujours là, et racontent.

Le Larzac était verdoyant comme il ne l’est jamais habituellement à cette période, quand le soleil a déjà tout grillé. En ce mois de juin 2018 exceptionnellement pluvieux, quand quelques rayons perçaient les nuages après une averse, les landes et les pelouses du plateau étincelaient, parsemées d’orchidées, de lin sauvage et, par endroits, d’immenses tapis de coquelicots. « C’est normal, dit Léon Maillé, ici, il n’y a pas de pesticides, tout le monde fait de l’agriculture biologique depuis des années, parfois des décennies. »(...)

Cet ancien éleveur de brebis de 74 ans est aujourd’hui à la retraite. C’est aussi une figure de la lutte du Larzac et l’un des protagonistes du film Tous au Larzac de Christian Rouaud , présenté en 2011 hors compétition au festival de Cannes.(...)

La ZAD de Notre-Dame-des-Landes a souvent été comparée au Larzac. Les deux mouvements de contestation se sont en effet, après des années de conflit, soldés tous deux par l’annulation d’un grand projet étatique et par la recherche d’une solution pour gérer les terres concernées. Les liens entre les deux zones remontent d’ailleurs aux années 1970, et beaucoup des premières générations en lutte dans le Larzac se sont rendues à plusieurs reprises à Notre-Dame-des-Landes (NDDL) pour soutenir les zadistes et partager leur expérience, dont le député européen José Bové, qui s’est fortement impliqué dans le débat.

Retour sur expérience
Force est de constater cependant que l’expérience collective larzacienne, dont une partie des zadistes souhaitait s’inspirer, ne semble pas du tout intéresser le gouvernement (voire ferait office de repoussoir), ce dernier paraissant plutôt désireux de se débarrasser des terres expropriées de NDDL.

Huit mois après l’abandon du projet d’aéroport et alors que la normalisation sur place reste laborieuse, entre la régularisation au compte-gouttes des premiers projets individuels et l’apparition de conflits d’usage entre personnes expropriées et zadistes, nous sommes donc retournés au Larzac pour rencontrer ceux et celles qui ont aussi lutté victorieusement contre l’État, avant de concevoir avec lui le modèle de gestion collective du foncier qui a contribué à revivifier cet immense territoire mais qui, bizarrement, n’a encore jamais fait école.(...)

Le mouvement s’est construit entre squats de fermes abandonnées et coups d’éclat spectaculaires et médiatiques : la montée à Paris en tracteurs en 1973 (après avoir fait paître des brebis sous la Tour Eiffel) puis la grande marche, à pied cette fois, jusqu’à la capitale en novembre 1978 ; les grands rassemblements sur le plateau, tel celui d’août 1973, à l’initiative des « Paysans Travailleurs » de Bernard Lambert et de la « Gauche ouvrière et paysanne » issue du Parti socialiste unifié (PSU).

« Quand 80 à 100.000 personnes sont venues célébrer l’unité ouvriers-paysans autour de ceux de Lip et du Larzac, ce fut la véritable rencontre entre le Larzac et Mai-68 »

Pierre-Marie Terral, auteur d’une thèse sur ces dix années de lutte(...)

Rapidement devenue le symbole « d’une conception du monde », la lutte du Larzac, que Pierre-Marie Terral décrit aussi comme « l’un des lieux de l’émergence de l’écologie politique en France » a donc, a priori, pas mal de points communs avec les ZAD actuelles, dont celle de NDDL. Mais les différences et les divergences ne manquent pas non plus, à commencer par le rapport à la violence.

Le choix de la non-violence(...)

« Notre force a été de nous en tenir à la non-violence, grâce au soutien de Lanza del Vasto », affirme Janine Burguière. Ce philosophe italien, catholique et disciple de Gandhi, était alors à la tête de la communauté non-violente de l’Arche, installée sur le plateau. Il a joué un rôle fondamental dans la mobilisation des paysans et paysannes en décidant, en guise de soutien, de jeûner pendant quinze jours à La Cavalerie, en mars 1972. Un geste fort et médiatisé, d’autant que les évêques de Rodez et de Montpellier sont venus jeûner avec lui une journée et célébrer une messe. Le fait que l’Église apporte ainsi sa caution morale à la lutte, couplé au prestige de Lanza del Vasto, a galvanisé et uni les agriculteurs et agricultrices du plateau, très catholiques pour la plupart, et qui redoutaient d’aller au-delà des manifestations agricoles classiques.(...)

La force de cette démarche non-violente a été de retourner l’agressivité des forces de l’ordre contre elles-mêmes. On les laissait nous taper dessus, donc pour l’opinion, c’était toujours nous les martyrs. J’en sais quelque chose : j’ai eu sept côtes cassées et la figure en sang après m’être fait tabasser à coups de manche de pioche par un capitaine parachutiste. Ils essayaient sans cesse de nous pousser à la faute. »(...)

le maintien du cap non-violent, malgré les nombreuses échauffourées avec les autorités et les risques permanents d’emballement (en 1975, la ferme d’un des leaders, qui y dort avec toute sa famille, est soufflée par une bombe sans faire de victimes), reste la fierté de nombreux vétérans.

« On s’est évidemment intéressés à Notre-Dame-des-Landes, mais en voyant la violence de zadistes cagoulés, beaucoup d’entre nous ne s’y sont pas retrouvés »

Janine Burguière(...)

une autre spécificité du mouvement du Larzac, c’est que les paysans et paysannes n’en ont jamais perdu le contrôle, malgré la diversité des comités de soutien qui se sont créés en France, et l’arrivée de « néoruraux » sur le plateau. La solidarité paysanne a été scellée en 1972 par le fameux « serment des 103 », juste après la grève de la faim de Lanza del Vasto, via lequel 103 des 107 exploitants du plateau se sont engagés solennellement à ne pas vendre ni quitter leur terre. Quant aux néoruraux, qui ont rejoint la lutte et occupé des fermes –dont José Bové, Christian Roqueirol, Pierre-Yves de Boissieu– « ils n’ont jamais cherché à nous doubler », reconnaît Pierre Burguière.

« Les 103 du Larzac étaient majoritaires et tenaient presque tout le territoire, confirme José Bové. Ils contrôlaient tout, les comités de soutien et les installations sur place. Les squatteurs, comme moi à la ferme de Montredon, devaient avoir obtenu l‘autorisation du bureau des paysans. » Rien à voir, explique-t-il, avec le contexte de Notre-Dame-des-Landes, où il n’y a que cinq agriculteurs historiques(...)

Certes, ce front n’a pas été exempt de divergences et de lâchages, sans parler des antagonismes exacerbés par dix années de conflit entre les anti et les pro-camp À commencer par le village de La Cavalerie, massivement favorable à l’extension, en raison des potentielles retombées économiques. « Jusqu’à un passé récent, je n’ai pas pu y mettre les pieds », admet Janine Burguière. Durant les dernières années, le conflit s’est essoufflé et les actions des plus radicaux ont fini par éloigner l’Église et certains élus. « Tout le monde en avait marre du Larzac, reconnait Pierre Burguière. Début 1981, la FDSEA voulait nous forcer à négocier. On nous considérait tous comme des gauchistes. Aujourd’hui encore, le Larzac reste mal vu dans l’Aveyron. »

« Les gens s’imaginaient que c’était Woodstock en permanence, pourtant il n’y a jamais eu de communautés hippies sur le plateau »

José Bové(...)

D’abord parce qu’ici le climat est rude et qu’ensuite, toute installation était contrôlée par les associations de lutte paysanne. »(...)

Notre-Dame-des-Landes vit aujourd’hui la difficile transition que le Larzac a connue entre 1981 et 1985. « L’urgence pour la ZAD était de sécuriser les projets d’installation en signant les premières conventions d’occupation précaire. Ensuite, à eux de voir l’outil de gestion qu’ils veulent instaurer. À la SCTL, nous avons une base qui peut leur servir », estime néanmoins José Bové. Malgré tout, l’époque a changé et l’individualisme a pris le pas sur les idéaux collectifs. « Pour faire bouger la loi, il faut parfois désobéir », affirme ce contestataire de la première heure, passé plusieurs fois par la case prison, ex-syndicaliste agricole et altermondialiste agitateur, démonteur de McDo (de Millau) et faucheur de cultures OGM avant de devenir député européen. « Mais nous avons toujours assumé les conséquences de notre désobéissance en payant les amendes ou en allant en prison », souligne-t-il. Sous-entendu : sans céder à la violence. Sans doute un conseil d’ancien activiste aux zadistes les plus radicaux d’aujourd’hui...