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Mediapart
Comment un infiltré a berné des « patriotes » qui projetaient des attentats islamophobes
Article mis en ligne le 14 juin 2021

Un agent infiltré a permis de démanteler AFO, cette cellule d’ultradroite qui planifiait l’empoisonnement des rayons d’alimentation halal des supermarchés. Treize infiltrations ont été réalisées par l’antiterrorisme depuis 2018. Dernier volet de notre série.

Dans le civil, Achille est téléopérateur pour une compagnie de taxis. Mais depuis près d’un an, ce quinquagénaire est aussi un membre de l’Action des forces opérationnelles (AFO pour les intimes), un groupuscule d’ultradroite qui entend mener des attaques contre la communauté musulmane en représailles des attentats djihadistes.

Bercé par les théories survivalistes, Achille est persuadé que la guerre civile est imminente et il se prépare en conséquence. Chez lui, il possède cinq armes de poing, plus de 1 000 munitions de calibres divers, un couteau papillon, trois gazeuses, des talkies-walkies, une arbalète et ses carreaux.

Et ce soir, comme il l’a expliqué à Jacques, ils doivent « tester le matériel ». Des grenades remplies de TATP, l’explosif utilisé par les terroristes le 13-Novembre. Seulement Tommy, l’artificier du groupe, n’est pas là.

Alors Achille s’agite, Achille s’emporte. Les cheveux coupés court, la calvitie naissante, les yeux creusés, les veines apparentes, Achille est un grand nerveux. Il stresse. Il a échangé par mail avec le commandant de la région Île-de-France de l’AFO, qui a bien insisté : l’essai doit avoir lieu absolument ce soir.

Achille raconte à Jacques que la grenade devra être jetée contre un arbre pour évaluer les dégâts occasionnés. Au prochain attentat islamiste, il est prévu de remonter en scooter des files de voitures et de lancer des grenades à l’intérieur de celles conduites par des Maghrébins. Par exemple en Seine-Saint-Denis. Jacques a promis de fournir le scooter et de quoi confectionner les explosifs. Tommy se chargeant de préparer le TATP.

Oui, mais Tommy ne donne toujours pas signe de vie, alors Achille s’agace. Il téléphone à « Flamme », un autre membre du réseau, pour avoir les coordonnées de leur artificier. Achille insiste pour que Flamme soit là ce soir, il veut lui présenter Jacques, « un super gars », et pour « tester le produit ». Mais Flamme se montre évasif. Traiteur de profession, il officie, dit-il, à une réception dans le parc Saint-Cloud, il viendra après. Peut-être. Il envoie toutefois le 06 de Tommy. Achille l’appelle.

L’artificier explique qu’il ne peut pas se déplacer à cause de son vieux père gravement malade mais qu’ils peuvent se retrouver à Noisy-le-Roi. Après avoir mangé un morceau, ils iront tester la grenade dans les bois. Quand Achille et Jacques arrivent dans la commune des Yvelines, ils ne trouvent pas Tommy au chevet de son père mais au bar du coin, où il a passé l’après-midi. Tommy est fin saoul.

Ce vétéran d’Afghanistan âgé de 32 ans a déjà passé sept mois en prison pour de multiples récidives de conduite en état d’ivresse. Quand il le voit dans cet état, Achille lui demande s’il sera capable de se servir d’une grenade. Tommy jure que oui.

Le trio s’attable dans un restaurant de sushis. Ils sont en train de disserter sur les conditions de conservation de l’explosif dans des congélateurs quand, peu après 21 heures, les effectifs du groupe d’appui opérationnel de la DGSI investissent l’établissement japonais et procèdent à leur interpellation. Non sans quelques difficultés pour Tommy qui, ivre mort, se débat de longues minutes avant d’être plaqué au sol et menotté. Dans son véhicule aux fenêtres ouvertes, cachée sous une veste kaki, une grenade artisanale composée de 300 grammes de TATP.

Dans les minutes qui suivent, une dizaine d’hommes et de femmes sont arrêtés à leur tour en Corse, en Gironde, dans la Vienne, en Charente. Ils sont aujourd’hui quatorze à être mis en examen (après, pour certains, une période d’incarcération, tous sont désormais en liberté sous contrôle judiciaire). (...)

« Nous vous informons qu’une infiltration a eu lieu au sein du mouvement AFO. L’agent infiltré nous a permis de savoir que plusieurs projets étaient en cours au sein du mouvement. »

Achille en reste comme deux ronds de flan. (...)