
Quotidien national allemand né en 1979 sous forme d’association, la Tageszeitung est passé en coopérative en 1992. Un choix qui a permis au journal de gauche de continuer à informer ses lecteurs en toute indépendance, dans un paysage médiatique en crise. Plus de 15 500 coopérateurs ont rejoint l’aventure. 250 personnes y travaillent. Rencontre avec un journal qui dessine un avenir de la presse fait de solidarité, à l’abri de l’influence des banques et des industriels.
(...) À peine une semaine après les festivités de la Saint-Sylvestre, les agressions commises à Cologne le 31 décembre font la une d’une large partie de la presse allemande. La Taz en parle aussi. Pour l’édition du lendemain, elle a entre autres prévu de publier l’interview d’un sociologue germano-iranien et la prise de position d’une féministe musulmane. « Du côté des politiques, les discussions sur les expulsions, toujours les expulsions, c’est du pur populisme ! », s’indigne un des journalistes. Le ton tranche avec le flot médiatique du moment. (...)
Depuis sa naissance en 1979, la Taz a une place bien à part dans le paysage de la presse allemande. Le quotidien a été fondé après la chape de plomb qui s’est abattue sur les médias lors de l’« automne allemand » de 1977. Les autorités du pays mettent alors en place des mesures d’exception suite aux enlèvements et assassinats du groupe terroriste de la Fraction Armée rouge. Depuis cette époque, la Taz est restée résolument de gauche, écolo et alternative. Sans être rachetée par personne ! La Taz n’appartient à aucun groupe de presse. Et pourtant le journal réussit depuis trente-sept ans à maintenir et son indépendance et sa ligne politique. Son secret ? En grande partie sa forme coopérative. (...)
"nous accueillons constamment de nouveaux membres. » Environ mille par an depuis 2008. L’un des derniers arrivés est Bernhard Melchior, habitant de Bavière. Déjà abonné depuis deux ans, il a rejoint l’aventure à la toute fin de 2015, parce que « c’est une manière idéale de soutenir le journal, d’assurer son indépendance et de garantir qu’il ne fasse pas appel à la publicité ». (...)
« Mais le capital de la coopérative ne peut en aucun cas servir à maintenir le budget courant du journal », rappelle Konny Gellenbeck, d’un montant d’environ 22 millions d’euros annuels, il est alimenté par plus de 33 000 abonnements au quotidien papier et 12 000 à l’édition du week-end. À cela s’ajoutent 5 600 abonnés à la version PDF du quotidien ou sur tablette ainsi que 6 500 lecteurs qui paient volontairement une contribution minimum de 5 euros par mois pour lire les articles directement sur le site, pourtant en accès gratuit. La Taz détient aussi la licence de la version allemande du Monde diplomatique, qui compte environ 12 000 abonnés outre-Rhin. (...)
« Ici, tous les salaires suivent la même grille, de manière totalement transparente, note Franziska Seyboldt. Il y a un niveau de base, et des majorations selon les années d’ancienneté et les responsabilités pour les chefs de rubriques et les rédacteurs en chef. Cela signifie aussi que, ici, les femmes ne gagnent pas moins que les hommes. » Mais tout le monde gagne peu si on compare aux salaires de la branche en Allemagne (...)
"nous sommes une entreprise crédible quand nous disons que tous les bénéfices sont immédiatement réinvestis dans le produit. Nous ne faisons pas de grosses dépenses. Chez nous, un lien très fort avec nos lecteurs nous a accompagnés depuis le berceau. Il faut se souvenir que nous avons été fondés avec 7 000 abonnements payés d’avance, sans aucune garantie, pour permettre au journal de naître ».
Un seul autre quotidien allemand a adopté la forme coopérative depuis la Taz. Il s’agit là aussi d’un journal de gauche radicale, Junge Welt, créé en RDA et passé en coopérative à la fin des années 1990, avec aujourd’hui un peu moins de 2 000 membres. (...)