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Commerçants, voleurs et belligérants dans le Sahel d’aujourd’hui
Mauro Niger
Article mis en ligne le 31 décembre 2020

Ici nous vendons de tout, du sable à l’uranium en passant par les frontières. Ces dernières s’achètent bien depuis que le sommet de La Valette entre l’Afrique et l’Europe, en 2015, a décidé l’importance d’aller aux ‘causes profondes’ des migrations.

Entre temps il fallait freiner, contrôler et finalement arrêter la mobilité qui se faisait dangereusement importante entre l’Afrique subsaharienne et la Libye. On a ainsi vendues au vent des milliers de vies en échanges de quelque dizaine de millions d’Euros aux gouvernements qui auraient collaboré à détourner les causes (profondes) du départ des migrants de leurs Pays. On a ensuite monétisé, inventé et interprétées des nouvelles frontières en mesure de fonctionner selon les critères de répression des bailleurs de fonds. Ici nous vendons de tout, du droit à l’instruction et à l’éducation des enfants aux universités de l’Etat. Prospèrent les écoles privés pendant qu’on démantèle de manière systématique et cohérente les publiques. Nous vendons l’or, le charbon, le pétrole, la cocaïne, les cigarettes, des armes et des tout-terrains lorsqu’ils arrivent près de chez-nous. Au long des routes nous vendons les fruits, les légumes et la poussière. Aux marchés de nos villes nous offrons aux acheteurs des habits, des chaussures usées, des instruments de travail, de la viande coupée, du riz importé, des casseroles tout genre, des cartes téléphoniques, des montres qui oublient l’heure des rendez-vous et des portables tropicalisés. Nous vendons également l’espace publique aux partis pour la campagne électorale désormais terminée, des colliers de chien, des brosses à dent, des mouchoirs jetables et des masques contre la Covid aux carrefours et près de l’Hôpital National. Nous vendons les journaux que personne ne lit aux chauffeurs pressés, des unités de sachet d’eau minérale traitée à la source et le nettoyage des vitres des voitures en un temps record. Nous vendons, enfin, notre souveraineté citoyenne aux multinationales, aux Pays du Golfe, à la Turquie, à l’Union Européenne et aux Etats Unis.

Les voleurs sont partout. Dans les quartiers moins protégés, près des échangeurs, dans les motos pour arracher les sacs des femmes et puis on les trouve dans les banques et les ministères de la ville. Certains voleurs se déguisent en personnes respectables, bien habillés et ils voyagent en avion. Ils fixent les rendez-vous des patrons, gèrent les contrats pour les explorations minières, volent à la politique ses atouts et ils accumulent l’argent dans les paradis fiscaux que les mafias protègent. Tout est bon pour le vol, de la Constitution de la République à la dignité en passant par la souveraineté alimentaire du peuple. (...)

Ils trafiquent les paroles et manipulent les idéaux, des imposteurs de sable et des tricheurs de poussière qui veulent emprisonner la réalité derrière des intérêts d’une classe sociales ou de la religion. Les grands voleurs voyagent dans l’impunité et l’on met en prison les écartés d’une société qui a trahi les pauvres pour les confier aux compétences du ‘cirque’ humanitaire comme ambulance du système.

Les belligérants prospèrent toujours en temps de crise sociale, surtout quand les liens sociaux se fracturent et la souveraineté du peuple est évacuée. Les groupes terroristes armés, les mercenaires, les fabricants d’armes et les militaires contribuent à créer au Sahel une guerre sans fin. L’année qui s’achève, en effet, se présente comme la plus meurtrière en terme des violences djihadistes et communautaristes. Les décès sont estimés à 4 250 personnes et donc quelque 60% en plus par rapport au 2019. L’Etat Islamique au Grand Sahara prend comme cible les civiles dans le 45% des cas. Il utilise la violence pour taxer les communautés locales et il sème désolation et destruction sur son chemin. Les déplacés et réfugiés se comptent par centaines des milliers et le manque de nourriture et de soins médicaux augmentent le nombre des morts, en particulier parmi les enfants. Pourtant eux, les fabricants des guerres asymétriques arrivent à justifier, avec des idéologies tachées de sang, leur stratégie mortelle. Personne ne nait belligérant ou guerrier mais on le devient lorsque les conditions s’avèrent propices dans le Pays.

Il reste, enfin, une dernière catégorie de citoyens qu’on n’arrive pas à classifier et que notre sable garde en silence comme s’il s’agissait d’une mine pas encore exploitée. Il s’agit des résistants, ceux qui n’ont pas vendu leur dignité.