
Grande-Synthe, dans le Nord, est l’une des rares villes qui accueillent des centaines de migrants dignement. Malgré 30% de sa population active au chômage et un tiers de foyers vivant en dessous du seuil de pauvreté, c’est aussi là que se mènent des politiques écologiques et sociales ambitieuses.
Le maire Damien Carême et son équipe y soutiennent une université populaire au service des habitants, y ont créé le premier stade à énergie positive de France et bâtissent un éco-quartier accessible aux populations pauvres. Un volontarisme politique auquel s’ajoute la solidarité à l’égard des réfugiés de passage vers l’Angleterre, bien loin du sort réservé aux migrants des bidonvilles glauques de Calais. Reportage. (...)
La ville de Grande-Synthe a créé le premier camp français aux normes du HCR, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés. Cet épisode très médiatisé a révélé par ailleurs une ville pionnière dans l’aménagement du territoire, qui s’efforce de conjuguer écologie et lutte contre les inégalités sociales.
La ville qui inventa le « revenu social garanti » (...)
Énergies renouvelables et transport gratuit le week-end
Socialiste passé à Europe Écologie - les Verts en 2014, Damien Carême multiplie les exploits environnementaux en milieu hostile, influencé par le « mouvement de transition » qui émerge de l’autre côté de la Manche [1]. Entourée de 14 sites classés Seveso, à quelques kilomètres de la plus grosse centrale nucléaire d’Europe de l’Ouest, Grande-Synthe est devenue la capitale mondiale de la biodiversité en 2010. Plus de la moitié de l’énergie consommée par la ville est renouvelable (...)
trois fois par semaine, des écrivains publics bénévoles aident des habitants à remplir un dossier, rédiger un courrier administratif, compléter un formulaire. « L’idée, confie Julian, c’est aussi que les classes moyennes s’allient avec les classes populaires. » À l’Atelier, les jardiniers viennent chercher conseils et semences. Derrière la baie vitrée, s’étend un jardin-pilote destiné entre autres à alimenter en graines les cinq jardins populaires de la ville, plantés en pied d’immeuble. Les parcelles sont accordées gratuitement à qui en fait la demande, en fonction des disponibilités. Si les clôtures qui ferment les jardins sont aisément franchissables, les dégradations constatées sont minimes. (...)
après le blocage complet de la frontière à Calais, à l’été 2015, la situation devient préoccupante [2]. Fin septembre, on dénombre plus de 500 personnes, plus du triple fin novembre, puis 2800 fin décembre, dont 300 enfants. Les conditions sanitaires sont alors pires qu’à Calais, les maladies se répandent : rougeole, varicelle, gale ou tuberculose.
La nécessité d’un camp apparaît comme la seule solution envisageable, d’autant que Médecins sans frontières (MSF) s’engage à prendre en charge une très large partie des frais de création : 2,5 millions d’euros. La ville avancera les 700 000 euros restant, comptant sur un remboursement de l’Union européenne pour ne pas peser sur le budget des habitants. Le préfet ne s’y oppose pas mais émet un avis défavorable, prétextant des raisons de sécurité. L’expertise de MSF et la détermination du maire ont raison de ces atermoiements. Le camp est créé en mars à la Linière, une zone à l’écart de la ville, entre la gare de marchandises et l’autoroute, alors que la population de réfugiés est désormais de 1300 personnes. Une pétition lancée en opposition à la création du nouveau camp ne recueille que quelques dizaines de signatures. « Je crois que les gens sont plutôt fiers de l’image de leur ville », pense Damien Carême.
« Mon salaire ici, ce sont les sourires des enfants qui font du vélo » (...)
Désormais 20% des migrants présents sur le camp font une demande d’asile en France. Le 12 mai, le préfet de région a annoncé son désir de scolariser les enfants « dans les écoles de la République », une préoccupation pour le moins surprenante quand on connaît le peu d’attention porté par les institutions aux mineurs de Calais, dont beaucoup sont sans famille.
L’État va-t-il fermer le seul camp de réfugiés à peu près digne
Les bénévoles qui sont sur le camp de Grande-Synthe viennent d’Angleterre, de Belgique, d’Allemagne, de toute la France. Ils y demeurent le week-end ou plusieurs semaines, parfois quelques mois. Tous ou presque sont logés pour cinq euros la nuit dans les bungalows d’un camping environnant. L’intérêt des tâches évolue bien sûr avec la durée du séjour. Les migrants vient sur le camp en moyenne plusieurs mois. Avant que l’État n’annonce son projet de reprise en main du camp, l’idée était d’évoluer vers une gestion mixte, de plus en plus autonome. L’organisation quotidienne n’est pas seulement logistique. De jour et surtout de nuit, il faut lutter contre l’influence des passeurs, souvent armés. De nombreux réseaux ont été récemment démantelés. (...)
« Je laisse la police et la justice faire leur travail », répète Damien Carême, qui tient cependant à ce que la présence des forces de l’ordre aux abords du camp soit réduite et discrète. La sécurisation des abords, notamment les entrées et sorties des véhicules, est pour l’instant gérée par les bénévoles. Jusqu’à ce jour, il n’était pas question de contrôler les allers et venues des habitants, comme cela se fait à Calais dans le camp de containers. Ici, la priorité est d’apporter un minimum de confort et à faire, autant que possible, de ce lieu de passage un espace convivial et accueillant. La prochaine étape est l’érection d’un mur anti-bruit, pour protéger les migrants des nuisances sonores de l’autoroute et empêcher les incursions dangereuses sur la chaussée. (...)
La population du camp est désormais de 700 habitants. On peut craindre que n’ayant pu interdire sa construction, les autorités cherchent désormais à réduire le camp de la Linière au plus vite. Quelle que soit la pérennité du projet, il aura montré qu’un accueil digne est possible. Y renoncer par peur d’un « appel d’air » est non seulement indigne, mais parfaitement infondé.