
Depuis l’assassinat de Theo Van Gogh en 2004, les Pays-Bas savent qu’ils peuvent être la cible d’attentats islamistes. Mais ils misent beaucoup sur la prévention et la confiance qu’inspirent les autorités. Même s’ils n’ont pas trouvé de formule magique pour construire un islam « européen ».
A l’heure où le gouvernement français veut lutter contre le "séparatisme" islamiste, regardons ce qui se fait ailleurs. En particulier aux Pays-Bas, dont le pragmatisme est aussi légendaire que l’attachement à un modèle libéral : Spinoza et les imprimeurs d’Amsterdam ont ouvert la voie aux Lumières. (...)
La nation batave est certes de taille modeste par rapport à l’Hexagone : un peu plus de 17 millions d’habitants dont 6% de musulmans, venus principalement de Turquie, du Maroc et du Surinam, mais aussi d’Irak, du Pakistan ou de Bosnie. Elle a un lourd passé colonial, en Asie comme aux Caraïbes, et des controverses récurrentes - dont la querelle autour du "Zwarte Piet", le serviteur noir qui accompagne Saint Nicolas - rappellent à quel point le racisme a pu imprégner les mentalités (les émeutes qui ont suivi la mort de George Floyd aux Etats-Unis ont eu un effet sensible : 47% des Néerlandais soutiennent encore le "black-face" du Zwarte Piet, ils étaient 71% il y a un an). Les Pays-Bas sont très déchristianisés : les églises sont vides, on les transforme en librairies ou en hôtels, voire en boîtes de nuit. Enfin, même s’ils sont à cet égard beaucoup moins exposés que la France, leurs soldats et leurs conseillers militaires participent aux opérations anti-djihadistes au Mali, en Afghanistan ou en Somalie.
Pourtant, les attentats sanglants dont les Français ont pris la triste habitude restent rares aux Pays-Bas. (...)
Mais si les Pays-Bas n’ont pas eu à déplorer davantage d’attaques, c’est peut-être aussi parce qu’ils ont investi beaucoup, depuis quinze ans, dans la prévention. Après un événement traumatique qui a profondément secoué la société néerlandaise.
Deux ans après l’’assassinat du leader d’extrême droite Pim Fortuyn, celui du cinéaste Theo Van Gogh, en 2004, par un extrémiste qui lui reprochait sa critique d’un islam intolérant, a causé un choc. (...)
Mais si les Pays-Bas n’ont pas eu à déplorer davantage d’attaques, c’est peut-être aussi parce qu’ils ont investi beaucoup, depuis quinze ans, dans la prévention. Après un événement traumatique qui a profondément secoué la société néerlandaise.
Deux ans après l’’assassinat du leader d’extrême droite Pim Fortuyn, celui du cinéaste Theo Van Gogh, en 2004, par un extrémiste qui lui reprochait sa critique d’un islam intolérant, a causé un choc. (...)
C’en était fini de l’approche consistant à voir dans les djihadistes avant tout des opprimés, d’autant que l’extrême droite xénophobe, incarnée par Geert Wilders, se postait en embuscade à chaque scrutin. Comment éviter que des individus ne se radicalisent et ne passent à l’acte ? Comment construire un islam "européen", compatible avec les valeurs démocratiques qui sont les nôtres ? Telles sont les questions auxquelles les Néerlandais se sont efforcés de répondre.
Prévention et confiance
Selon la correspondante du quotidien autrichien Der Standard, Kerstin Schweighöfer, installée de longue date aux Pays-Bas, les autorités néerlandaises ont pu mobiliser dans tous les quartiers des systèmes d’alerte passant par les policiers de proximité, que les gens connaissent et en qui ils ont confiance. (...)
Des métropoles comme Amsterdam et Rotterdam (dont le maire est d’origine marocaine), où se concentrent les communautés immigrées - jusqu’à 70% des élèves en cycle primaire -, ont construit un réseau de personnes qui doivent être "les yeux et les oreilles" ("ogen en oren") capables de déceler les signes avant-coureurs d’une dérive. Ce sont des entraîneurs sportifs, des imams, des parents respectés. Rien qu’à Amsterdam, au cours des cinq dernières années, 200 d’entre eux ont suivi une formation en ce sens.
Chaque ville a développé sa méthode. (...)
L’important est de créer un dialogue, et surtout de tisser la confiance : le maître-mot de la prévention. Chose autrement compliquée en France, où au moins depuis la présidence de Sarkozy, et ses discours musclés sur le nettoyage au"Kärcher", la police de proximité a été la grande perdante.
Pas de "banlieues" aux Pays-Bas
Il y a surtout une énorme différence entre les Pays-Bas et l’Hexagone : même si Rotterdam ou Amsterdam sont confrontées à de sérieux problèmes, en particulier dans le domaine scolaire, on n’y connaît pas de "banlieues" ni de "territoires perdus de la république". (...)
La prévention a, bien sûr, ses limites. Il reste un noyau dur de quelque 500 terroristes potentiels, réfractaires à tout discours d’apaisement, avec lesquels il n’y a pas d’autre solution qu’une surveillance policière constante. Certains peuvent tromper les plus fins observateurs (...)
Mais le taux de récidive est d’à peine 4,4%, contre près de 50% pour des délinquants ordinaires. Les Néerlandais ne cherchent d’ailleurs pas à extirper l’idéologie qui trouble ces esprits. Ils emploient des moyens concrets : couper quelqu’un d’un milieu, lui offrir un job, le faire déménager. Ils ont toute une "valise" d’instruments à leur disposition. Et peuvent compter sur la confiance, toujours elle, qu’inspirent les autorités : la police a ainsi pu empêcher un attentat à Arnhem parce que des signaux d’alarme avaient été tirés à temps par des parents et des enseignants.
L’échec de la formation des imams
En revanche les Pays-Bas ont échoué jusqu’alors à former des imams répondant à l’idéal d’un "islam européen". Ce n’est pas faute d’y avoir pensé, dès les années 1980. Le cadre législatif, plus souple qu’en France puisque l’Etat ne voit aucune difficulté à financer des écoles confessionnelles, lesquelles accueillent environ 70% des élèves du pays, n’était pas en soi un obstacle. Mais la volonté de rendre la formation des imams compatible avec les valeurs démocratiques qui sont la norme en Europe s’est vite heurtée au principe de non-ingérence cher aux Néerlandais.
Elle a aussi été mal perçue par la communauté musulmane qui fut très peu associée à ces initiatives. (...)