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Mediapart
Contrôles au faciès à la gare du Nord : l’État condamné pour « faute lourde »
Article mis en ligne le 9 juin 2021

Dans une décision rendue mardi, la cour d’appel de Paris reconnaît les contrôles au faciès subis par trois lycéens à la gare du Nord, en mars 2017. Elle condamne l’État pour « faute lourde » et ordonne le versement de 1 500 euros aux plaignants.

« La décision de la cour d’appel de Paris rend enfin justice à ces jeunes qui ont eu le courage de saisir la justice pour défendre leur dignité », se félicite leur avocat, Me Slim Ben Achour. (...)

« Cette décision enfin envoie un message clair au ministère de l’intérieur et aux forces de l’ordre : les contrôles d’identité pendant les sorties scolaires ne sont pas acceptables et doivent être proscrits », poursuit Me Ben Achour.

« En condamnant l’État, la cour d’appel de Paris envoie un signal très fort pour que cessent les contrôles au faciès en France. Elle s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, en novembre 2016, avait condamné l’État pour faute lourde dans trois affaires de contrôles d’identité discriminatoires », rappelle-t-il.

À ses yeux, c’est « une pierre de plus dans le jardin du gouvernement », alors que six associations ont récemment lancé la première action de groupe française contre les contrôles au faciès, comme le révélait Mediapart.

Contacté par Mediapart, le service presse de la cour d’appel de Paris confirme son délibéré et ajoute « ne pas savoir pour le moment si un pourvoi en cassation a été formé ».

Nous republions ci-dessous notre compte-rendu de l’audience du 6 mai dernier. (...)

Le 17 décembre 2018, le TGI de Paris a débouté chacun des requérants de leur demande, au motif que le contrôle ne peut être considéré comme ayant été discriminatoire. Le tribunal a précisé que « la discrimination ne peut pas être fondée sur l’appartenance raciale ou ethnique, réelle ou perçue, dès lors que tous les élèves de la classe sont décrits par la professeure comme étant d’origine étrangère ». En clair, il ne pouvait pas s’agir d’un contrôle au faciès puisque toute la classe était d’apparence étrangère.

Les réclamants ont donc interjeté l’appel. Lors de sa plaidoirie, Me Slim Ben Achour a dénoncé cette logique « absurde ». Selon lui, le tribunal s’est concentré sur le contrôle de trois élèves sur dix-huit au lieu de placer ces contrôles sur la totalité des voyageurs présents sur les quais, et « majoritairement blancs » selon la classe. « Cela signifierait tout simplement que les contrôles au faciès n’existent pas dans les quartiers populaires puisque la population y est diverse et majoritairement issue de la diversité », relève l’avocat.

Ce mardi encore, la question s’est principalement portée sur la charge de la preuve. « Oui, mes clients apportent la preuve d’un contrôle discriminatoire », a-t-il répété en listant « 16 indices » pour le démontrer. Me Ben Achour mentionne notamment les attestations des élèves qui évoquent unanimement une discrimination ressentie. « Ce contrôle, c’est dire à des jeunes du 93 qu’ils ne sont pas chez eux à Paris », défend l’avocat. Il pointe également l’opacité de l’administration, avec une préfecture incapable de fournir la traçabilité de ses procédures, ni même de prouver qu’elles ne sont pas discriminatoires. (...)

L’incapacité des autorités à prouver que les contrôles effectués ce jour-là n’étaient pas discriminatoires est aussi pointée (...)

l’agent judiciaire de l’État. Ce dernier a répété que des études ne suffisaient pas à prouver que ces élèves ont subi un contrôle discriminatoire. Il a aussi remis en cause les attestations des camarades de classe et balayé tout contrôle discriminatoire dans une démonstration qui n’a pas dépassé dix minutes. « Aucun élément ne permet de dire que les policiers responsables de ces contrôles avaient des opinions racistes », a-t-il ainsi avancé.

Mais l’agent judiciaire de l’État est allé encore plus loin en demandant, six jours avant l’audience, à ce que soit écarté le Défenseur des droits. « Du jamais vu », selon Me Slim Ben Achour.

Dans le courrier consulté par Mediapart, l’agent accuse le Défenseur des droits d’avoir rendu ses conclusions trop tard et demande à la présidente de la cour de ne pas les prendre en compte. Il souhaitait aussi que le représentant de l’institution ne puisse pas s’exprimer le jour de l’audience.

Cette surprenante demande a vite été refusée par la présidente notamment parce que, comme l’a rappelé le représentant en question, « le Défenseur des droits n’est pas une partie à l’instance » et « son audition est de droit ». (...)

Dénonçant une « discrimination systémique » dans la mise en œuvre des contrôles d’identité, six ONG avaient lancé une action de groupe contre l’État en janvier dernier et attendaient une réponse. Elle a été donnée par le ministère de l’intérieur le 1er avril dernier en réponse à une question écrite de la sénatrice PCF Laurence Cohen.

Encore une fois, le gouvernement nie l’existence des contrôles au faciès et se contente d’inciter les gens qui se diraient victimes à « saisir l’autorité judiciaire ou l’une des nombreuses institutions chargées de contrôler l’action des services de police ». (...)