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Coronavirus : les patrons de presse brocardent les postiers « déserteurs »
Article mis en ligne le 23 mai 2020
dernière modification le 22 mai 2020

Le 25 mars, Philippe Wahl, Pdg de La Poste [1] décide de réduire la distribution du courrier à trois jours consécutifs par semaine (mercredi, jeudi et vendredi) à partir du 30 mars. L’objectif affiché : protéger les personnels de La Poste de la pandémie. De nombreux patrons de presse et éditorialistes ne l’ont pas entendu de cette oreille : arguant du fait que les abonnements distribués par La Poste subiraient un retard très préjudiciable aux lecteurs et aux journaux, ils ont vivement protesté. Allant parfois jusqu’à brocarder les postiers, et les traiter de « déserteurs ». Toute décence confinée…

Haro sur La Poste !

Quelques éléments de contexte : depuis le début de la pandémie, les syndicats de La Poste avaient alerté la direction sur les carences dans la protection des personnels, surtout pour les facteurs et factrices, dépourvus de masques, de gants, etc., ainsi que dans les centres de tri, sans écrans de séparation, ni masques. La fédération Sud-PTT avait même assigné La Poste en référé pour la contraindre à mettre en place des mesures de sécurité pour ses agents. La situation difficile des personnels de La Poste a d’ailleurs été relatée par de nombreux journaux, par exemple par Ouest-France, ou encore Le Figaro, Le Monde, Le Parisien, ou 20 Minutes.

Mais le ton change du tout au tout après le 25 mars et l’annonce de Philippe Wahl, qui limitait aux mercredi, jeudi et vendredi, la distribution du courrier et donc des abonnements. Les patrons de presse et leurs éditorialistes affidés entrent alors en guerre médiatique contre La Poste et les postiers. Leur syndicat, l’Alliance de la presse d’information générale (APIG, 298 journaux adhérents), dirigé par Jean-Michel Baylet, lance la campagne avec la tribune « La Poste nous abandonne », déclarant notamment : « Il faut respecter ses clients et assurer la continuité du service public aux citoyens » et que La Poste « bafoue ses engagements contractuels tant vis-à-vis des éditeurs qu’envers l’État et les contribuables, qui lui versent 100 millions d’euros par an pour assurer la distribution. » [2]

Certains quotidiens reprendront la tribune de l’APIG, comme Le Télégramme ou La Montagne. Plus belliqueux encore, le banquier d’affaires Philippe Villin, ancien Pdg du Figaro, parle de « désertion de La Poste » (Figarovox, 29/03). Et La Dépêche, le journal de Baylet, ne dit pas moins : « "Nous sommes en guerre" donc, et La Poste déserte… » (La Dépêche, 27/03) La Gazette du Var propose une autre version : « Ces postiers qui ont trahi leur entreprise… » (...)

Oubliés les articles de la période précédente où il était question des conditions de travail des postiers et postières, de l’absence de masques de protection pour les facteurs qui vont au travail « la boule au ventre », des risques de contamination dus à leurs multiples contacts, du fait que nombre d’entre eux ont été effectivement contaminés. Comme si le fait que les journaux soient ici directement concernés les dispensait d’une approche un tant soit peu équilibrée de l’information.

Au-delà de la presse quotidienne, les éditorialistes ne sont pas en reste (...)

Les postiers réagissent

Les réactions des postiers ne se sont pas fait attendre, notamment par la voix de leurs syndicats. Réactions peu audibles cependant car peu relayées, alors que certains médias orchestraient une campagne contre eux. Il faudra un communiqué significativement conjoint de Sud-PTT et du Syndicat national des journalistes (SNJ), dès le 1er avril, pour entendre un autre son de cloche, qui dénonce à la fois les patrons de presse et ceux de La Poste (...)

Et de décrire la situation pour le moins alarmante des postiers dans sa région [5]...

De son côté, le Pdg de La Poste n’a pas attendu pour reconnaître « une erreur », s’excuser auprès des patrons des journaux, et s’accorder avec l’APIG pour une distribution sur quatre jours, effective pour les journaux dès le 6 avril, et sur cinq jours un peu plus tard. Et pour cela, mobiliser en catastrophe « plus de 3000 personnes supplémentaires avec des volontaires, des salariés de la filiale Mediapost (distribution de publicités), des intérimaires et des CDD. » (Le Parisien, 01/04). (...)

Pourquoi tant de haine ?

On peut se demander pourquoi les médias, surtout les journaux, se sont lancés dans une campagne si véhémente contre La Poste et les postiers. Pourquoi avoir mis dans le même sac le Pdg et les personnels de La Poste, alors qu’il était clair que la décision sur les trois jours était le fait du seul Pdg, et que plusieurs syndicats étaient favorables à la même solution qui fut proposée par le groupe de presse Centre France, soit une distribution alternée un jour sur deux ? Il eut été plus logique d’interpeller le seul Philippe Wahl, d’ailleurs tout disposé à rétropédaler, comme la suite l’a montré.

Une information digne de ce nom aurait ainsi pu interroger la décision de ce dernier, tout en prenant en considération la situation des personnels (...)

Au lieu de cela, le journalisme de commentaire a produit des doléances en série contre le service public postal. Doléances venues en particulier de la presse de droite, lui réclamant opportunément une meilleure qualité, et surtout une plus grande continuité (...)

Ont-ils protesté lorsque la Cour des comptes dans son dernier rapport de février 2020 (prémonitoire ?), a proposé de réduire le nombre de tournées des facteurs et factrices à cinq jours au lieu de six, voire à trois jours alternés pendant une semaine, et deux jours la suivante ? Phénomène que relatait certes La Dépêche du 26 février dernier, sans exprimer alors la moindre irritation.

Questions rhétoriques : pour les tenants de l’idéologie libérale, il en est des services publics comme des aides de l’État : à circonscrire ou privatiser par principe, à réclamer avec la plus grande fermeté quand ils leur sont utiles… Par exemple, à l’heure de fustiger les dépenses publiques, on ne trouvera pas éditocrate qui vive pour évoquer le dossier des aides à la presse [8].

Car il est toujours des cibles plus faciles que d’autres pour les sommités des médias. (...)

La différence est simple : annonceurs et patrons de presse – certains, de plus en plus nombreux, sont d’ailleurs les deux à la fois ! – font partie des dominants desquels dépendent les chefferies des médias, et les médias eux-mêmes. Une pression économique, on en conviendra, bien plus conséquente que celle que pouvait en réalité représenter la restriction de la distribution des journaux...

Héros et déserteurs

Dans la guerre déclarée au coronavirus par le président Macron, il y a, pour certains, les héros [9], soit le personnel soignant, les caissières, les éboueurs, etc., et les déserteurs : ici les postiers.

Relayant le président et son gouvernement, les médias dominants et leurs têtes de gondoles, ont tôt fait de remercier, de glorifier, d’élever au rang de « héros » les salariés indispensables à la survie de la population et au fonctionnement du système sanitaire. Mais la proclamation de leur héroïsme et les applaudissements associés [10] sont aussi des invitations à rester à leur place, à défaut d’encouragements plus matériels, toujours remis à demain. Idem pour les soi-disant « déserteurs », même traitement, mais en sens inverse (...)