
(...) Le problème dans cette affaire, n’est évidemment pas la personne de Jérôme Fenoglio. Ce dont il est question ici, et cela dépasse largement le seul cas du Monde, c’est du pouvoir que réclament et prétendent exercer les détenteurs du capital sur le fonctionnement, les orientations et la vie du quotidien. Par leurs déclarations désavouant le travail de la rédaction à propos de l’affaire Swissleaks, Matthieu Pigasse et Pierre Bergé ont déjà montré le peu de cas qu’ils font de l’indépendance journalistique.
Surtout, en 2010, lors du rachat du titre qui était alors au bord de la faillite, ils ont imposé des procédures de nomination des responsables du journal et un nouvel organigramme boiteux, avec comme seul objectif d’accentuer leur emprise sur la rédaction : ils proposent désormais le nom du directeur que la Société des rédacteurs n’a plus le pouvoir que d’avaliser ou non ; de surcroît, ils ont obtenu que le président du directoire soit aussi le directeur de la publication, privant ainsi le directeur de périmètre de responsabilité explicitement délimité – on ne peut dès lors être surpris que le journal ait déjà « usé » cinq directeurs en cinq ans…
Que les journalistes du Monde manifestent leur mauvaise humeur face à cet autoritarisme larvé de leurs actionnaires est plutôt salutaire, mais peut aussi apparaître paradoxal, voire cocasse de la part d’un quotidien par ailleurs si enthousiaste devant le capitalisme le plus décomplexé, et si hostile à l’égard de celles et ceux qui s’y opposent…