
Plus de 180 prisonniers et 16 surveillants testés positifs au Covid-19 : c’est l’inquiétant bilan d’une campagne de détection menée, début juin, à la maison d’arrêt de Majicavo à Mayotte. Si le pire a été évité dans la plupart des prisons, le cas mahorais démontre les limites de la politique de prévention mise en œuvre par le ministère de la Justice et l’Administration pénitentiaire.
Le scénario tant redouté d’une prison transformée en cluster géant du Covid-19 n’a finalement pas pu être évité. Le 4 juin, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) annonçait en effet que plus de la moitié des personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Majicavo, à Mayotte, avaient contracté le virus, ainsi que seize agents travaillant dans l’établissement. Les premiers cas symptomatiques avaient été repérés au sein de la population carcérale de l’île le 22 mai. Dans les jours qui ont suivi, huit détenus ont été testés positifs, poussant l’Agence régionale de la santé (ARS) à organiser un dépistage généralisé. Il est alors apparu que 56 % des détenus – soit 183 personnes sur les 323 incarcérées dans l’établissement – étaient porteurs du Covid-19. « Un taux très important mais peu surprenant dans un milieu complètement fermé », a souligné le Dr Geneviève Dennetière, responsable de la cellule de veille sanitaire à l’ARS de Mayotte(1). (...)
La situation inquiétante que traverse la prison de Majicavo n’a cependant rien d’incompréhensible et vient, précisément, éclairer les limites et angles morts de la politique de prévention qui a été mise en place dans les établissements pénitentiaires. (...)
Priorité manquée : l’encellulement individuel
La poursuite d’un objectif de baisse de la population carcérale, à laquelle s’est résolue tardivement la ministre de la Justice (lire ici), a constitué l’un des piliers affichés de cette politique. Il y avait urgence. La forte surpopulation qui affectait la plupart des maisons d’arrêt rendait en effet illusoire tout espoir que les gestes barrières et autres mesures de prévention puissent y être respectés. (...)
Couplées à un ralentissement de l’activité des juridictions pénales, ces dispositions ont certes permis une baisse historique du nombre de personnes incarcérées en quelques semaines. Le 18 mai le directeur de l’Administration pénitentiaire indiquait en effet qu’avec 59 000 détenus pour 61 000 places, les prisons françaises renfermaient 13 500 personnes de moins que deux mois plus tôt. Un bilan bien éloigné de l’objectif d’un encellulement individuel, qui aurait pourtant dû être activement poursuivi par les pouvoirs publics dans le contexte épidémique. Surtout, il admettait également que ces chiffres masquaient « une disparité forte » entre les établissements pour peine et les maisons d’arrêt « où la surpopulation reste importante, à 110 % en moyenne », avec des niveaux particulièrement élevés dans certains établissements(3). (...)
Navigation à vue
Le volet « pénitentiaire » du plan de lutte mis en œuvre par l’administration répondait quant à lui à un double enjeu : d’une part, limiter l’intrusion puis la circulation du virus en prison et, d’autre part, détecter les personnes infectées, ou susceptibles de l’être, afin de les isoler du reste de la communauté carcérale et de les prendre en charge. Entre le 27 février et le 11 avril, ce sont au moins onze notes qui ont été prises par la DAP pour décrire aux services pénitentiaires les mesures et comportements à adopter dans le cadre de ce plan, auxquelles s’ajoutent un certain nombre de fiches informatives. Cette profusion de textes n’a sans doute pas facilité la réception de ses instructions par ses services. Ni la compréhension par une population pénale inégalement informée des mesures mises en place (...)
« La difficulté est que ces notes nationales sont souvent publiées tardivement, alors que les services déconcentrés ont déjà adopté des modalités d’organisation », a ainsi pu regretter le syndicat CGT Insertion et probation(4). Ce n’est par exemple que trois semaines après le début du confinement que la DAP a prescrit d’adapter les procédures de fouilles par palpation des détenus aux mesures de précaution sanitaire ainsi que « le font déjà nombre d’établissements sur instructions des directions interrégionales »(5)...
Une politique de détection lacunaire (...)
plus de 80 % des 183 personnes testées positives au centre pénitentiaire de Majicavo ne présentaient aucun symptôme de la maladie, faisant dire au Dr Geneviève Dennetière que s’il n’y « avait pas eu les quelques cas de fièvre » qui ont entraîné le dépistage de toute la population carcérale, « on serait passés totalement à côté » (...)
L’impossible respect des gestes barrières
C’est avec l’instauration du confinement mi-mars qu’ont été adoptées des mesures visant à restreindre les circulations entre extérieur et intérieur des prisons ainsi que les mouvements internes, afin de limiter le risque d’entrée et de circulation du Covid-19 en détention. À partir du 18 mars(8), les parloirs sont suspendus, tout comme les transferts de personnes détenues, à l’exception de ceux prononcés pour des motifs « d’ordre et de sécurité ». Pour se prémunir du risque d’intrusion du virus, un confinement sanitaire de quatorze jours peut en outre être imposé à titre préventif aux nouveaux arrivants. Sont également suspendues toutes les activités socio-culturelles, d’enseignement et de travail (à l’exception du service général) ainsi que les cultes et les activités sportives en espace confiné. (...)
Or, si l’on en croit le tribunal administratif de Mayotte, toutes ces mesures et précautions étaient effectivement mises en œuvre à la prison de Majicavo. Alors que les parloirs n’avaient, dans cette prison, pas encore repris début juin, il faut donc en déduire que cette accumulation de mesures n’offrait pas une protection totale. (...)
Si tant est que la surpopulation qui affecte toujours certains établissements ne le rende pas matériellement impossible, le cloisonnement entre groupes de personnes incarcérées n’est pas non plus infaillible. (...)
Enfin, alors qu’elle était contrainte par le Conseil d’État de fournir un masque de protection aux personnes incarcérées se rendant à un parloir avocat, une commission de discipline ou à un entretien avec un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation(10), l’Administration pénitentiaire s’est opposée au port généralisé du masque pour les détenus, au prétexte notamment de contraintes de sécurité. Et ce avec l’assentiment du juge administratif, même dans le cas d’un détenu atteint d’une pathologie l’exposant à de graves complications en cas de contamination par le Covid-19(11). (...)
En ne se donnant pas les moyens d’atteindre l’encellulement individuel et en refusant de mettre des masques à disposition de la population carcérale, les pouvoirs publics ont joué à la roulette russe avec la santé des personnes incarcérées. Ainsi, ce n’est pas la découverte d’un cluster géant au sein de la prison mahoraise qui doit susciter l’étonnement. Mais bien le fait qu’il ait été le seul. (...)
alors que l’Association des professionnels de santé exerçant en prison, Médecins du Monde et l’OIP rappelaient le 12 mai dans un communiqué commun que « le droit de porter un masque doit être le même de chaque côté des murs », l’accès au masque n’était toujours pas autorisé aux détenus dans les espaces partagés. Et ce alors même que l’approvisionnement n’est plus un problème.