Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
AfriqueXXI
Cameroun. Éduquer et punir les mineurs, héritage d’une « colonialité pénale »
#Cameroun #repression #adolescents #colonialisme
Article mis en ligne le 28 juin 2025
dernière modification le 26 juin 2025

Le chercheur Denis Augustin Samnick, spécialiste des milieux carcéraux camerounais et congolais, a été détenu, mineur, à la prison centrale de Yaoundé. Il raconte la brutalité de la vie carcérale pour des adolescents, dont les règles sont héritières d’une « colonialité pénale ».

La double tendance consistant à punir et à éduquer est historiquement enracinée dans l’autoritarisme politique de l’État camerounais. Elle est l’héritière d’une « colonialité pénale », pour reprendre les mots de la chercheuse Viviane Saleh-Hanna, qui incarcère les mineurs et les discipline à l’aune d’une pédagogie carcérale répressive. Parler d’autoritarisme dans l’éducation des mineurs incarcérés n’est cependant pas synonyme de vide juridique. Le Code d’instruction criminelle, d’inspiration coloniale, en vigueur après les indépendances, ainsi que les dispositifs juridiques contemporains, notamment le Code de procédure pénale de 2005 et le Code pénal révisé de 2016, prévoient expressément l’emprisonnement des enfants en conflit avec la loi. Les cadres légaux inspirés du passé colonial étant généralement muets sur les effets pervers de la vie carcérale sur des catégories sociales aussi vulnérables que les adolescents, c’est parfois dans l’expérience vécue de ceux qui ont connu la prison du Cameroun postcolonial que se dessine une analyse empirique et critique.

Dans le livre publié en 1997 aux Presses de l’Université catholique d’Afrique centrale, à Yaoundé, par le regretté père Yves Balaam, intitulé Enfants de la rue et de la prison dans une ville africaine, le « quartier 13 », réservé aux mineurs incarcérés à la Prison centrale de Yaoundé (PCY), y est décrit comme un espace punitif hors du commun. (...)

Un long séjour au sein du quartier 13, réservé aux mineurs incarcérés, permet aussi à de nombreux adolescents d’obtenir des diplômes des cycles primaire et secondaire. Des certificats d’études primaires, des brevets d’études du premier cycle et des baccalauréats sont régulièrement obtenus par les mineurs incarcérés et célébrés par l’administration pénitentiaire.

Au-delà d’un système scolaire producteur de diplômes, le quartier 13 est aussi un lieu de foisonnement des causeries éducatives visant le changement de comportement des mineurs incarcérés. Les confessions religieuses réunissent les jeunes détenus autour de prêches journaliers et hebdomadaires, les invitant à la repentance, à l’obéissance à l’autorité et à la lutte contre la sorcellerie qui gangrène leurs vies et génère, par la voie mystique, les incarcérations et les récidives. Bien que ce type d’éducation ne vise pas le développement de l’esprit critique chez les mineurs, il n’oblitère pas pour autant les frustrations générées par les contraintes de la prison.

L’administration pénitentiaire n’injecte pas de moyens économiques pour prendre en charge l’éducation des mineurs (financée essentiellement par des ONG), mais elle se félicite et se gargarise de la production carcérale des diplômés, tout en saturant le séjour carcéral des adolescents par une batterie de contraintes. (...)

Lorsqu’un détenu mineur ne respecte pas les injonctions à la scolarisation, à la non-circulation dans les compartiments des adultes, à la non-consommation des substances psychotropes ou à la non-agression verbale des enseignants, il peut faire face à de nombreux périls. En tant qu’ancien mineur, incarcéré à la PCY au milieu des années 2000, et ayant conduit des recherches auprès des détenus et des anciens détenus de cette prison en 2015, 2017, 2020 et 2025, je peux donner une description détaillée des périls que l’incarcération est susceptible de créer dans la vie des mineurs.

Dans leur propension à toujours vouloir incarner un ordre politique répressif, surtout lorsqu’ils sont confrontés à des catégories sociales aussi vulnérables que les mineurs, certaines autorités carcérales prennent des décisions susceptibles de détruire la vie et le devenir des adolescents. L’une d’elles consiste à transférer les mineurs récidivistes et ceux jugés outrecuidants vers la section des adultes, notamment dans les quartiers 8 et 9 de la PCY, communément appelés « Kosovo », du fait de la dangerosité et de l’hostilité qui y règnent. En transférant les adolescents, les autorités carcérales les exposent à des cruautés telles que la surpopulation et la promiscuité (plus de 65 personnes dans une salle de 15 m2), la prédation sexuelle des adultes envers les plus jeunes, la chaleur, la consommation de psychotropes et la domination des gangs.

Droguer les mineurs pour les violer

Lors de mon séjour en prison, l’une des techniques de prédation sexuelle les plus répandues consistait à profiter de la faim qui tenaillait les mineurs, à leur offrir des repas remplis de somnifères et à abuser d’eux sexuellement durant leur sommeil. Cette pratique était tellement répandue dans les quartiers 8 et 9 de la PCY que toute la prison en parlait sous forme d’un récit anecdotique et ludique. À l’époque de mon incarcération, je vivais dans une sorte de crainte pathologique (marquée par de nombreux cauchemars), d’être transféré dans un tel espace de prédation sexuelle. De façon cynique et cruelle, les autorités carcérales contemporaines continuent toujours de transférer les mineurs dans ces quartiers. (...)

Un encellulement nocturne pour contrôler

Si les autorités carcérales sont aussi demandeuses de discipline, de respect et de restrictions, c’est en partie dans le but de se débarrasser des mineurs susceptibles de leur créer des problèmes. Elles perçoivent ces mineurs avant tout comme des malfaisants qui profitent de la proximité du quartier 13 avec le mur arrière de la prison pour s’évader nuitamment. Les gardiens de prison en charge de la surveillance sont très souvent réprimandés par la hiérarchie à la suite de telles évasions. (...)

Le quartier des mineurs, où des dizaines d’adolescents traumatisés, ployant sous les fardeaux de la misère et des restrictions, ne sont pas portés par le souffle collectif de la révolte, est un laboratoire propice pour l’expérimentation de la violence politique dans un régime autoritaire déliquescent comme le Cameroun. Après quarante-trois ans avec le même président au pouvoir, le gouvernement camerounais ne s’est toujours pas ouvert aux idées réformatrices et abolitionnistes qui remettent en question l’emprisonnement des mineurs d’une part et leur transfert dans les compartiments réservés aux adultes d’autre part.

(...)