
Les futurs traitements et vaccins contre le coronavirus seront-ils accessibles à tous, dans tous les pays ? Les entreprises pharmaceutiques qui les produiront, avec l’aide financière des pouvoirs publics, seront-elles prêtes à renoncer à leurs profits ? Des solutions existent pour mutualiser ces médicaments, pour le bien de toutes et tous.
Sanofi, Novartis, Bayer… Ces multinationales pharmaceutiques promettent d’offrir des millions de doses de chloroquine, l’un des traitements à l’étude contre le Covid-19. « Big Pharma » serait-elle en train de remiser au placard sa soif de profits, pour lutter solidairement contre le coronavirus ? « Il faut vraiment observer le geste soi-disant philanthropique de Sanofi avec méfiance. Pour Sanofi, 300 000 boîtes de chloroquine, ce n’est rien en termes financiers », tempère Jérôme Martin, ancien président d’Act Up-Paris et cofondateur de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament. (...)
Poser des conditions pour les recherches financées par l’argent public
Comment obliger l’industrie pharmaceutique à « lâcher du lest » sur ses intérêts financiers ? Tout d’abord en posant des conditions aux programmes de recherche financés par l’argent public. (...)
Est-il possible d’intégrer à ces financements des obligations, par exemple un plafonnement du prix de vente ? « Légalement, tout est possible, cela dépend de la volonté politique, répond Viviana Galli. Quand des équipes qui allient recherche publique et entreprises pharmaceutiques gagnent un appel pour recevoir de l’argent européen, un contrat est signé avec la Commission européenne. C’est envisageable d’inscrire dans ces contrats des clauses sur les licences des futurs traitements, sur la transparence de toutes les données des essais, ou sur l’accessibilité des médicaments, même si les prix restent une compétence nationale des pays membres. » Pour l’instant, aucun des programmes lancés par l’Union européenne ne fait clairement mention de ces garanties. (...)
Un autre outil pour peser sur les prix serait une obligation de transparence sur les fonds publics qui ont contribué à développer un traitement. Une même entreprise pharmaceutique peut recevoir des fonds de la France, de l’Allemagne, de l’Union européenne pour développer une même molécule. Résultat : il est très compliqué d’avoir une vision exhaustive de tout l’argent public investi dans une recherche donnée. « Or, si vous avez ces infos, vous avez plus de poids pour négocier les prix », explique Viviana Galli.
Ouvrir les licences pour fabriquer des médicaments génériques (...)
C’est tout l’enjeu d’une initiative lancée par des ONG et des pays, dont le Costa Rica, qui demandent à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’œuvrer « pour mettre en commun les droits sur les technologies utiles pour la détection, la prévention, le contrôle et le traitement de la pandémie de Covid-19 » [3] En clair, le petit État d’Amérique centrale demande à ce que les traitements potentiels contre le Covid, les produits nécessaires aux tests de dépistage, et le futur vaccin éventuel, soient mis en commun à toutes les nations, et non détenus au profit exclusif d’intérêts privés. (...)
La démarche du président du Costa Rica est soutenue par des dizaines d’ONG [4]. Elle s’appuie sur une expérience lancée en 2010, les communautés de brevets – appelées « medecines patent pool ». L’initiative, coordonnée par l’organisation internationale Unitaid, visait à améliorer l’accès aux traitements antirétroviraux, contre le sida, dans les pays à faibles revenus, puis s’est élargie aux traitements contre l’hépatite C et la tuberculose. (...)
Socialiser la production de traitements au niveau mondial
La proposition du Costa-Rica ambitionne d’aller plus loin. « L’idée, c’est que pour assurer une production suffisante et un prix abordable, il faut un mécanisme de mutualisation au niveau de l’Organisation mondiale de la santé. L’OMS pourrait redistribuer les droits de licence ou les secrets de fabrication à d’autres producteurs là où il y en a besoin », détaille Patrick Durisch. Ce serait finalement comme une socialisation globale de la production de traitements. (...)
Pour mettre en place ce mécanisme, il y aurait autour de la table à la fois l’OMS, les États qui en sont membres, les entreprises pharmaceutiques, et des organisations de la société civile. « Ce projet est une mobilisation ancienne, ajoute Juliana Veras. La crise du Covid met aujourd’hui en lumière que nous en avons vraiment besoin. »
Ultime recours : casser les brevets des entreprises
Une telle mutualisation des droits de production serait, à ce niveau, inédite. Tout comme la crise sanitaire du Covid-19. Sans mise en commun, le risque est grand que l’accès aux médicament dépende des capacités financières des pays, et des malades. (...)
Plusieurs pays du Sud ont utilisé cette possibilité depuis le début des années 2000. Le Brésil et son président d’alors, Lula, ont par exemple cassé le brevet de Merck sur l’antirétroviral Efavirenz en 2007. Des entreprises brésiliennes ont ainsi pu produire des versions génériques, et moins chères, du traitement. En 2012, l’Inde a émis une licence obligatoire pour passer outre un brevet de Bayer sur un anticancéreux, et pouvoir ainsi en produire des versions génériques localement. En 2016, la Colombie a annoncé vouloir émettre une licence obligatoire sur le traitement contre la leucémie Glivec, un médicament de l’entreprise suisse Novartis. Par la suite, Novartis a exercé des pressions à répétition sur le gouvernement colombien pour protéger son brevet, en le menaçant de porter l’affaire devant un tribunal international d’arbitrage (ces ISDS devant lesquels les multinationales demandent des milliards de compensation aux États) [5]. (...)
En France, cette possibilité a été évoquée en 2014 pour le traitement contre l’hépatite C de l’entreprise Gilead, commercialisé à un prix exorbitant, mais sans suite. (...)