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le Monde Diplomatique
Croissance, un culte en voie de disparition
jean Gadrey
Article mis en ligne le 27 avril 2020
dernière modification le 26 avril 2020

Quand bien même la croissance reviendrait dans les pays développés, elle empêcherait d’atteindre les objectifs climatiques. D’autres chemins vers le progrès humain méritent d’être explorés.

(...) Il existe de multiples explications à la « baisse tendancielle du taux de croissance (1) » observée depuis plusieurs décennies dans les pays riches, et plus récemment dans les pays émergents. Même des économistes médiatiques commencent timidement à envisager l’hypothèse d’un monde sans croissance, du moins dans les pays dits avancés. (...)

le culte de la croissance est à ce point ancré dans l’esprit des dirigeants politiques que, même lorsqu’ils tiennent des discours enflammés sur la lutte contre le changement climatique, ils s’empressent de rappeler qu’elle demeure un impératif. (...)

Comment prétendre être exemplaire sur le climat en liant tout à la croissance ? Cette contradiction ne dérange pas nombre de dirigeants, qui partagent une nouvelle religion : la « croissance verte », cette transition censée stimuler la croissance, laquelle facilitera la transition. L’ancien président américain George W. Bush avait résumé son credo en matière d’environnement par cette formule : « La croissance économique n’est pas le problème, c’est la solution (7). »
Une « croissance verte » compatible avec la finitude des ressources est un mythe

Assurément, face au changement climatique et à d’autres manifestations de la crise écologique, il faudrait investir massivement dans les énergies renouvelables, l’isolation des bâtiments, l’efficacité énergétique, l’agroécologie, la mobilité douce, etc., et donc organiser leur croissance. Mais en mettant l’accent sur des secteurs spécifiques dont l’expansion serait souhaitable, on ignore les questions les plus gênantes. Quelles activités et productions doivent nécessairement décroître compte tenu de leur impact négatif sur le climat, la biodiversité, la santé humaine, etc. ? Par ailleurs, quelle proportion de combustibles fossiles faut-il impérativement laisser dans le sol pour limiter le réchauffement ? Et si c’est entre 60 % et 80 %, comme l’affirment les évaluations les plus récentes, quelles conséquences cela peut-il avoir sur une croissance mondiale encore très largement propulsée par ces combustibles ? Plus généralement, la croissance économique, même faible, est-elle compatible avec les taux de réduction des émissions de gaz à effet de serre aujourd’hui exigés pour ne pas franchir des seuils critiques de concentration dans l’atmosphère ? (...)

la « croissance verte » est un mythe si l’on postule, en accolant ces deux termes, une croissance compatible avec la finitude des ressources matérielles (combustibles fossiles, minerais, terres arables, forêts, eau...) et avec une stricte limitation des risques climatiques et autres dommages causés aux océans, à la biodiversité, etc. Mais, alors, comment penser un monde débarrassé de ce culte ? Faut-il se résoudre à accepter une régression sociale au nom de l’écologie ?

Les dévots de la croissance sont enfermés dans des schémas de pensée où l’avenir ne peut ressembler qu’à une réactivation du passé. Ils n’imaginent pas que l’on puisse « relancer » autre chose que des quantités produites et consommées à grand renfort de campagnes publicitaires, d’obsolescence programmée et de vie à crédit. (...)

Le triangle idéologique du libéral-croissancisme — la compétitivité des entreprises fait la croissance, qui fait l’emploi — est d’un simplisme affligeant. Pourtant, il continue d’orienter les décisions politiques.

En réalité, les acteurs dominants du capitalisme néolibéral adorent le chômage comme dispositif disciplinaire les autorisant, d’une part, à freiner les revendications salariales et, de l’autre, à intensifier et précariser le travail pour accroître les profits. Aucun projet post-croissance n’aboutira s’il ne convainc pas que la « relance » du bien-vivre dans un environnement préservé est nettement plus efficace pour vaincre le chômage que les recettes éculées du libéral-croissancisme.

Et pourtant, la croissance n’est nécessaire à la création d’emplois que dans le modèle actuel, qui repose sur la quête perpétuelle de gains de productivité (...)

il faut plutôt troquer le vieux logiciel du « partage des gains de productivité », héritage des « trente glorieuses » ou du fordisme, contre celui du partage des gains de qualité et de soutenabilité. Orienter le système de production et de consommation selon une logique qualitative du « prendre soin » (des personnes, du lien social, des objets, de la biosphère...), en plaçant la qualité des biens communs sociaux et écologiques au cœur des activités humaines et de la politique : sobriété dans la quantité, prospérité dans la qualité. Cela implique aussi de s’attaquer aux inégalités pour que les nouveaux modes de consommation soient accessibles à tous. C’est même la principale condition pour que les milieux populaires ne voient pas dans cette transition la marque d’une écologie punitive.

Une économie plus douce offre bien plus d’emplois riches de sens (...)