
Partout en Europe, des milices d’extrême-droite se qualifiant de "patrouilles citoyennes" ou de "chasseurs de migrants" traquent des demandeurs d’asile et intimident des travailleurs humanitaires le long des frontières européennes.
La scène se déroule dans l’Essex, au nord-est de Londres. Un employé se rend en voiture à la RAF Wethersfield, une ancienne base militaire, lorsqu’un groupe encercle son véhicule.
Tout en filmant la scène avec des smartphones, le groupe accuse l’employé d’être un "traître" et le menace de divulguer son numéro d’immatriculation. La scène est diffusée en direct et vu par des milliers de spectateurs.
Le journal britannique The Independent, qui a rapporté l’incident le mois dernier, indique que le groupe de "chasseurs de migrants" était opposé à l’utilisation de la base militaire comme lieu d’hébergement pour les demandeurs d’asile. (...)
Ces justiciers autoproclamés se feraient passer pour des journalistes pour se rendre dans des centres d’hébergement et des hôtels pour harceler les employés et les demandeurs d’asile. Les images sont ensuite publiées sur les réseaux sociaux, ainsi que la localisation des lieux, tout en appelant les Britanniques à participer aux manifestations anti-migrants. (...)
Plus largement, dans toute l’Europe, de nombreux reportages font état de l’arrivée de groupuscules voulant protéger les frontières.
Les "défenseurs" de la communauté
Ces groupes se posent en défenseurs de la communauté, face à la menace que représenterait l’immigration, et disent intervenir là où la police et les autorités publiques aurait échoué.
Le Radicalisation Awareness Network (RAN) a mené une étude sur ce phénomène. Le RAN est un réseau financé par l’UE qui rassemble des professionnels de divers horizons, dont des travailleurs sociaux, des enseignants et des professionnels de la santé qui travaillent avec des personnes vulnérables à la radicalisation ou qui se sont déjà radicalisées.
L’étude s’est penchée sur "l’internationalisation croissante" de l’extrémisme de droite, sa propagation en ligne et les tentatives de normalisation des discours haineux visant les migrants et les demandeurs d’asile. (...)
L’extrémisme de droite en Europe est loin d’être monolithique. Il englobe plutôt un large éventail de courants idéologiques dont l’auto-justice contre les migrants. Ces idéologies se recoupent ou se font concurrence.
Ces mouvement, qui reposaient autrefois sur des sous-cultures jeunes, comme les néonazis et les skinheads, impliquent désormais des adultes. L’étude du RAN cite un rapport sur l’extrémisme de droite en Norvège, qui démontre que l’âge moyen de la radicalisation a considérablement augmenté, passant d’environ 22 ans dans les années 1990 à 31 ans dans les années 2010.
Différents catégories de mouvements
Le RAN a énuméré les différentes idéologies des groupes d’extrême droite, parmi lesquels figurent les mouvements néonazis et identitaires, qui prônent tous deux la suprématie blanche et la séparation ethnique, s’appuyant sur l’idéologie nazie ou le discours du grand remplacement pour défendre une identité européenne prétendument menacée. (...)
D’autres catégories comprennent des mouvements anti-islam et anti-immigration, qui ont pris de l’importance après l’arrivée de centaines de milliers de demandeurs d’asile en 2015. Ces groupes d’autodéfense, à l’image des Soldiers of Odin, qui ont étendu leur réseau dans les pays scandinaves et baltes, prétendent défendre l’identité européenne ou chrétienne.
Selon le RAN, au-delà de leur idéologie, ces différents groupes diffèrent par leurs stratégies et leurs structures. Cela rend le paysage extrémiste de droite européen à la fois fragmenté et interconnecté.
Motivations individuelles
Une autre étude menée en 2019 par des chercheurs de l’université Masaryk de Brno en République tchèque et de l’université d’Oslo en Norvège observe que les motivations individuelles au sein des groupes d’autodéfense sont très variables.
Certains les rejoignent pour se réinventer, notamment les personnes ayant un passé agité ou un casier judiciaire. D’autres, explique encore le rapport, sont attirés par la promesse d’appartenance à une communauté, les valeurs militaires ou l’opportunité de faire partie d’une grande cause.
Certains groupes sont peu structurés. D’autres sont organisés en réseau, adoptent des uniformes et ont recours à la violence. (...)
Les organisations de défense des droits humains ne cessent d’alerter sur ces groupes, rappelant qu’ils prospèrent grâce à la peur, à la désinformation et qu’ils amplifient l’hostilité politique envers les migrants.
Dans l’ensemble, un mélange complexe de facteurs sociaux, d’idéologies et d’une quête de développement personnel est à l’origine de la montée de ces groupes à travers l’Europe, selon les chercheurs. (...)
Miguel Ramos, journaliste spécialisé dans les mouvements d’extrême droite, a expliqué à InfoMigrants ne pas être surpris. "L’objectif de l’extrême droite est de créer des divisions entre les populations locales et les migrants. Leur programme se concentre sur des théories du complot telles que la théorie du grand remplacement, l’islamophobie et les fausses informations. Ils ne se soucient pas des chiffres. Ils ne se soucient pas de la réalité. Ils jouent sur une autre réalité basée sur le racisme et sur une Europe blanche et chrétienne".